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enfans, vieillards, malades, prirent le chemin du second exil, « et, Dieu nous conduisant, dit l’un d’eux, nous partîmes. » Les riches acquittèrent pour les pauvres les dépenses du départ avec une grande charité. Grâce à cette assistance, bien peu des plus nécessiteux se convertirent au christianisme. À pied, à cheval, sur des ânes ou dans des chariots, on voyait, spectacle triste et touchant, ces malheureux s’acheminer vers la mer ou vers la frontière. Les rabbins les encourageaient, ils faisaient chanter les femmes et les enfans, ils faisaient jouer de la flûte et du tambourin pour soutenir l’esprit défaillant de cette multitude. La masse était composée d’ouvriers qui gagnaient honorablement leur vie dans différentes professions manuelles ; une longue pratique, jointe à une intelligence ornée, les avait rendus très supérieurs aux classes laborieuses de la population chrétienne. Une politique aveugle allait ainsi priver l’Espagne des bras qui avaient élevé son industrie à un état florissant, des hommes de science et de talent qui avaient répandu les lumières au milieu d’un temps d’ignorance. La médecine étant presque tout entière dans les mains des Juifs, la population chrétienne se trouva tout à coup privée, après leur expulsion, des secours de l’art. Les fabriques de la Péninsule reçurent un coup mortel. Les académies, les écoles, les sociétés savantes, furent détruites. L’édit défendait aux Juifs proscrits d’emporter or ou argent ; mais ils enlevèrent secrètement de grandes sommes sous la selle de leurs chevaux, quelques-uns même avalèrent des ducats pour tromper les rigoureuses recherches des officiers commis à la garde des frontières. Si importante que fût la masse de numéraire soustraite, la fortune morale qui s’éloignait avec cette population industrieuse et éclairée était plus considérable encore. M. da Costa fait remarquer avec raison que si les Israélites de ce temps-là n’avaient point eu les yeux fixés vers la Palestine comme vers leur seule et véritable patrie, ils auraient été assez forts, dans cette circonstance, pour renverser le gouvernement espagnol.

Chassés de l’Espagne, les Israélites s’embarquèrent de tous les points de la Péninsule pour l’Italie, le Maroc, la Turquie et les côtés du Levant. Une flotte de vingt voiles porta plusieurs de ces familles errantes en Algérie, dans la ville d’Oran, où leurs descendans se retrouvent encore aujourd’hui ; mais le plus grand nombre se dirigea vers le Portugal, qui leur offrait un climat semblable à celui de l’Espagne, presque la même langue et une certaine conformité de mœurs. Les Juifs jouissaient depuis des siècles dans l’ancienne Lusitanie du droit d’asile. Quelques-uns d’entre eux s’étaient élevés, au milieu des douceurs d’un établissement paisible, à une assez grande position sociale. Ils avaient d’ailleurs rendu des services au pays en