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Les docteurs juifs avaient, en Espagne surtout, le monopole de la médecine. Le passage des Israélites sur la terre de l’antique Ibérie a laissé dans le cœur de leurs descendans un long souvenir. Un des poètes lyriques de la Hollande, M. da Costa, appartient à l’une de ces anciennes familles pour lesquelles l’Espagne fut, pendant des siècles, une patrie d’adoption. Quoique converti au christianisme, cet esprit distingué n’a point abjuré sa qualité de Juif. « Tout en me confessant, s’écrie-t-il lui-même, par la grâce de Dieu un disciple de Jésus-Christ, je n’ai point cessé d’être Israélite. » Sous le titre d’Israël et les Gentils, il a écrit en hollandais un ouvrage curieux dans lequel respire un sentiment très vif de nationalité. « Depuis ma première jeunesse, dit M. da Costa, l’histoire de mes ancêtres a été l’objet de mes méditations et de mes études. La partie moderne de cette histoire attira surtout mon intérêt ; c’est le cœur et l’imagination captivés par les destinées d’Israël que j’ai entrepris d’explorer les annales de la dispersion et de l’exil. » Dans ce livre, qui embrasse d’ailleurs toute l’existence, historique du peuple juif, l’auteur s’arrête, non sans émotion, sur le séjour de sa race en Espagne, sur ces siècles révolus qu’il appelle l’âge d’or du judaïsme moderne. « Les traces de cette époque passée et de la vie de nos ancêtres dans la Péninsule constituent, ajoute-t-il, pour les Juifs espagnols, un ter rible, mais imposant souvenir, voilé par une impression de sombre grandeur, comme par un nuage. »

Cependant le vent de la persécution soufflait sur les Juifs de tous les points de la chrétienté[1]. On sait quelle était dans les différens états de l’Europe, au moyen âge, la condition de cette nation infortunée. Couverte d’un manteau légal d’ignominie, séparée des autres classes de la population par des ordonnances injurieuses et par des signes extérieurs qui affichaient l’infamie de toute une race condamnée au fouet et aux violences corporelles, elle achetait partout le droit de vivre au prix d’intolérables sacrifices. Des fables absurdes

  1. Cette persécution avait commencé avec les empereurs chrétiens ; elle s’étendit aux Samaritains, qui formaient un des rameaux du judaïsme. Les Juifs étaient trop nombreux pour être anéantis, leur dispersion même les sauva ; il n’en fut pas de même des Samaritains, établis sur un ou deux points. Cependant des voyageurs contemporains ont visité les débris de la communauté samaritaine à Naplouse et à Jaffa (l’ancienne Joppa) ; on y compte une trentaine de familles qui, en y comprenant les hommes, les femmes et les enfans, peuvent s’élever à deux cents personnes. Ces Samaritains vivent dans la douce confiance qu’il existe maintenant un nombre considérable de leurs frères en Europe ; ils continuent d’habiter autour du mont Gerèzim, sur lequel leurs ancêtres prétendaient qu’on devait adorer Dieu, tandis que les Juifs soutenaient que ce devait être à Jérusalem. On connaît les rapports des Samaritains avec l’abbé Grégoire et Sylvestre de Sacy. On peut voir, pour plus de détails, les Samaritains de Naplouse, par M. l’abbé Bargès ; Paris 1855.