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mentent point. Ses images le trahissent et l’accusent ; confirmant de leurs témoignages incorruptibles le jugement de l’histoire libre, elles le dévoilent à la postérité. Il est deux traits du caractère d’Auguste que l’étude sérieuse de ce caractère révèle, mais que ses portraits rendent manifestes et comme éternellement présens : c’est la fausseté de son âme, visible dans son regard oblique, et sa méchanceté, toujours exprimée par l’air sombre de son visage. « Le plus méchant des citoyens romains, » a dit Voltaire.

On voit par Suétone et par Julien qu’il pouvait quitter cet air sombre pour prendre un visage serein et riant ; mais ce n’était pas son expression naturelle, ses portraits sont là pour l’attester. Ce sont ces portraits qui m’ont averti et mis en garde ; c’est en les contemplant bien des fois dans les musées et les galeries de Rome que je me suis senti porté à cette sévérité historique, que l’illusion des esprits irréfléchis, fondée sur des témoignages intéressés, n’a pu ébranler, que les faits confirment, et qui s’appuie sur le jugement des historiens les plus dignes de ce nom. On voit à Rome un assez grand nombre de portraits qui représentent Auguste à divers momens de sa vie. Presque tous le montrent beau, car, comme dit Suétone, il eut la beauté de chaque âge ; mais presque tous aussi lui donnent un regard oblique et un air mauvais. Quelquefois seulement, comme dans une statue qui est au musée de Saint-Jean-de-Latran, le sculpteur lui a ôté cette méchante physionomie et a dirigé son regard en avant. Aussi ce portrait n’est-il plus guère ressemblant, aussi a-t-il perdu le caractère individuel constamment reproduit dans le plus grand nombre des images d’Auguste. On est donc fondé à voir un trait de ressemblance dans l’expression de fausseté et de méchanceté qu’elles offrent d’ordinaire. Il fallait que cette expression fût bien réelle pour que l’adulation l’ait si rarement effacée. Jamais peut-être la sculpture n’a rendu un plus grand service à l’histoire, car elle démontre l’identité d’Octave et d’Auguste. On a trop distingué le barbare complice d’Antoine, qui s’appelait Octave, et le maître paisible du monde à qui on décerna le titre d’Auguste. En réalité, il n’y a pas deux hommes dans cet homme, bien qu’il ait porté deux noms. Pour l’histoire, Auguste a mis un masqué sur le visage d’Octave ; mais pour la sculpture il n’y a point de masque : elle copie le nu. La sculpture a conservé à l’empereur, qui affectait la douceur et même la bonhomie, la physionomie dure et fausse du triumvir.

Oui, ce fut toujours la même âme, car ce fut toujours le même visage : ses portraits le prouvent. Quand il fermait le temple de Janus aux acclamations du monde, il avait l’air et le cœur aussi mauvais que lorsqu’au temps des proscriptions il forçait un fils à combattre contre son père, et voyait celui qu’il avait condamné au