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de la perfection morale d’un peuple, et seraient bien aises de la reléguer dans l’âge d’or. La liberté, toute liberté était impossible à Rome ! Est-ce bien sûr ? Ne pouvait-on modifier la république sans la détruire ? ne pouvait-on fonder une monarchie qui ne fût pas l’absolu despotisme ? Qui sait jamais ce qui aurait pu arriver ? Il est commode de prononcer après l’événement et de déclarer qu’il était inévitable, parce qu’il a été ; mais, ce que je sais bien et ce que toute la suite de cette histoire démontrera, c’est qu’il ne pouvait rien l’avoir de pire que l’empire romain, que cette longue décadence intérieure suspendue momentanément par quelques empereurs admirables, mais jamais arrêtée, cette dissolution morale qui, on l’oublie trop, à travers des agitations renouvelées presqu’à chaque nouveau règne, à travers des guerres civiles fréquentes, amena l’envahissement progressif des Barbares et l’avènement universel de la barbarie. Je ne crois pas que la république eût pu faire au monde beaucoup plus de mal que cela.

Comment justifier Auguste ? La constitution de Rome était affaiblie ? Cela excuse-t-il celui qui lui a porté le dernier coup ? Un médecin, au lieu de combattre une maladie grave, doit-il la rendre mortelle, et parce qu’un malade périclite, le tirer d’affaire en lui donnant de l’opium ? C’est ce qu’a fait Auguste, et voilà ce qu’on n’a pas assez dit. La postérité, trompée par cet éclat apparent de l’empire, qui ne devait pas tarder à s’assombrir sous Tibère et à s’évanouir sous Caligula et sous Claude, pour ne reparaître qu’accidentellement par le hasard des bons empereurs, toujours peu nombreux, — la postérité a pris l’époque d’Auguste pour une grande époque de l’humanité, quand ce n’était que la fin de la vie et le commencement de la mort. Auguste lui-même a paru grand, tandis qu’il n’était qu’adroit. On l’a cru bon ; Dante l’a dit : Il buon’ Augusto, comme si l’on devenait bon, comme si l’on se transformait, comme si l’âme féroce et lâche du triumvir avait pu devenir une âme douce et généreuse. Et Auguste, après avoir usurpé le pouvoir parmi ses concitoyens, a usurpé dans l’imagination des hommes une place qu’il ne mérite point. Comment s’est faite cette seconde usurpation ? Toute erreur populaire a une cause ; une erreur n’est jamais réfutée que quand elle est expliquée. Je vais tâcher d’expliquer celle-ci.

Auguste a eu trois grands bonheurs. Il a été célébré par Horace et Virgile ; Tacite n’a presque point parlé de lui, et sa vie, écrite par Plutarque, a péri.

Horace est réellement coupable ; il avait respiré l’air de la liberté dans le camp de Brutus. Avoir fui à Philippes ne prouve rien contre son courage. Tout le monde peut fuir dans une déroute. Jeter son bouclier pour fuir plus vite n’est pas héroïque ; mais ce qui est beaucoup plus mal, c’est de plaisanter sur ce sujet à la cour de celui