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l’empire ; cependant ce savoir-faire même, on ne doit pas se l’exagérer. Octave eut, pour gagner les soldats, la double séduction du nom et de l’héritage de César. Il employa tous les moyens ; on le vit tour à tour s’appuyer sur le sénat ou se déclarer contre lui, s’unir ou se brouiller avec Antoine. Il s’allia, quand il le fallut, à Décimus Brutus, le plus odieux des meurtriers de César, dont il était le familier et semblait être l’ami ; il est vrai qu’Octave en même temps cherchait à le faire assassiner. Et puis y avait-il réellement de l’habileté à réussir par les monstruosités du triumvirat, quand chacun des trois scélérats qui le composaient livrait aux deux autres ses propres amis, pour acheter par leur sang le sang de ses ennemis, quand on faisait prendre la toge virile à un enfant pour avoir le droit de le tuer ? Dans le considérant de la loi des proscriptions, il était prescrit de s’en réjouir ; mais la postérité n’est pas forcée de se soumettre à cet édit : pour elle, l’assassinat n’est pas de la politique. L’absence absolue de scrupules est un don rare ; là où il se trouve, il procure de grands avantages, seulement il ne faut pas l’admirer outre mesure.

Oui, Auguste eut cette sorte d’habileté pour laquelle les modernes ont inventé le nom de machiavélisme, et que cependant Machiavel n’a pas admirée chez Auguste. Il était plein d’égards pour les patriciens, qu’il craignit toujours ; il était débonnaire pour le peuple. Ce peuple, qui devait aimer Néron, l’aimait, lui apportait son offrande pour rebâtir sa maison, frappée par la foudre, et lui ne prenait de cette offrande des petites bourses qu’un denier.

Auguste, c’est encore une justice à lui rendre, mesurait très habilement la tyrannie aux circonstances : il comprimait plutôt qu’il n’opprimait. Sous lui, dit Sénèque, la parole n’était pas encore dangereuse, mais pouvait être fâcheuse. Il laissait faire (pas toujours cependant) des épigrammes et des satires, mais il étouffait soigneusement la publicité. S’il n’y avait pas de presse à Rome, il y avait des journaux : c’est un point qui n’est plus controversé depuis l’ouvrage de M. V. Leclerc sur les Journaux chez les Romains. Le journal du sénat rendait compte de ses actes (senatus acta diurna). César en avait ordonné la publication, Auguste l’interdit.

Tout cela, c’est de l’habileté, si l’on veut ; mais à côté de l’habileté il y eut chez Auguste l’hypocrisie. Auguste était habile quand il faisait élever un temple à Mars Vengeur ou à César, quand il donnait le nom de Marcellus à un théâtre, celui d’Octavie ou de Livie à un portique. Il était hypocrite le jour où, tout-puissant, placé par un décret du sénat au-dessus des lois, devant ce sénat qui lui appartenait, il déclarait vouloir déposer l’empire et rendre aux Romains la liberté, le jour où, mettant un genou enterre devant le peuple et