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Cavallo, sur le Quirinal, devant le palais des papes, auxquels le gigantesque hiéroglyphe de granit semble assurer la perpétuité de leur souveraineté temporelle ; la garantira-t-il mieux qu’il n’a garanti celle de l’empire des pharaons et de l’empire romain ?

Ce n’était pas seulement à lui-même qu’Auguste avait destiné son mausolée, mais à sa famille, à sa race. C’était une prise de possession dynastique par un tombeau. On l’a trouvé en effet des pierres funèbres indiquant que les principaux personnages de la famille impériale ont été brûlés près du mausolée où devaient reposer leurs cendres. Sur ces pierres, on lit ces simples paroles, qui contrastent si noblement avec les épitaphes pompeuses et prolixes des modernes : Hic crematus est, ici il a été brûlé. Cependant l’espoir que nourrissait Auguste fut trompé, et son mausolée s’ouvrit avant lui pour ceux qu’il pouvait croire appelés à lui succéder. Le premier qui vint y prendre place fut le plus jeune, Marcellus, deuil que devaient suivre d’autres deuils prématurés :

Quae, Tiberine, videbis,
Funera, cum tumulum praeter labere recentem !


On songe à Louis XIV survivant à sa postérité presque tout entière. Auguste vit mourir à peu de distance l’un de l’autre deux de ses petits-fils ; il fut obligé de reléguer le troisième dans une île qui lui servit de prison. Tibère, qui ne lui était rien, lui succéda. Comme dit Pline, Auguste eut pour héritier le fils de son ennemi. Après trois empereurs qui venaient de lui par les femmes, et à qui son sang avait été transmis par l’impure Julie, cet empire, qu’il avait cru laisser à sa famille, passa à des étrangers. Il fut tour à tour obtenu par l’intrigue, ravi par la force ou acquis à prix d’argent, car il a été donné à Auguste d’établir le despotisme, mais il n’a pu fonder une dynastie.

Telle est l’histoire monumentale d’Auguste. Sa politique astucieuse y est écrite. De tous les monumens qu’il a construits, il n’en est pas un seul, jusqu’à son tombeau, qui ne nous ait montré le désir de s’affermir, lui et sa famille, dans cette puissance que la violence aidée de la ruse avait conquise, et que la ruse seule a suffi à conserver. Je reconnais donc chez Auguste cette habileté qu’on a tant louée ; mais en vantant cette incontestable habileté, dont, on vient de le voir, les monumens élevés par lui conservent le témoignage, on oublie trop, selon moi, qu’elle alla jusqu’à l’hypocrisie. Surtout on ne parle pas assez de l’emploi qu’il en fit pour anéantir, par la destruction de toute vie politique dans l’état, toute énergie morale dans les âmes, et par la préparer cette dégradation permanente et cet affaiblissement graduel qui devaient amener la ruine de l’empire romain.

Sans doute il eut besoin d’un savoir-faire véritable pour arriver à