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particulier d’Auguste et le revenu public. » Je suis entièrement de l’avis de Dion Cassius. En effet, sous un gouvernement absolu, on ne comprend pas bien quelle différence il peut y avoir entre le trésor de l’état et le trésor du prince, ce dernier trésor étant la portion de la fortune publique que le prince a jugé à propos de s’approprier.

Ce fut Auguste qui fit placer au pied du Capitole le Milliarium aureum, cette colonne d’où partaient toutes les routes, image de la centralisation, qui ne fut jamais si puissante que sous l’empire, ce qui n’empêcha pas la dissolution de toutes ses parties. La base du Milliarium aureum a été retrouvée à côté de l’ancienne tribune aux harangues, qui elle aussi fut le centre, le centre moral du monde.

Parmi les monumens bâtis par Auguste, j’ai parlé de ceux dans lesquels il eut pour but, en accomplissant un dessein de César ou en honorant sa mémoire, de faire acte d’héritier ; quelques autres montrent évidemment par le nom même qu’ils ont reçu de lui l’intention qui leur a donné naissance. Auguste voulut, en faisant porter à des édifices destinés au public les noms de différentes personnes de sa famille, rendre populaires ces noms et cette famille. Par là de tels édifices nous révèlent ce qu’on pourrait appeler la pensée dynastique d’Auguste. Ainsi, après la mort de Marcellus, il donna le nom aimé de ce jeune homme au théâtre qu’il avait fait élever. Il est heureux et touchant que le seul théâtre de l’ancienne Rome dont une portion soit encore debout se trouve celui qui porte le nom de ce jeune Marcellus, sur qui les vers de Virgile ont répandu un intérêt mélancolique. Il semble que la poésie de Virgile ait porté bonheur au monument. Ce n’est pas que celui-ci soit intact, tant s’en faut ; mais ce qui subsiste est admirable. Au tournant d’une ruelle, on aperçoit la belle courbe du théâtre, on reconnaît la pureté d’une architecture empreinte du sentiment exquis de l’art grec à peine modifié. Il l’est cependant, car l’ordre dorique du théâtre de Marcellus est le dorique romain ; mais c’est Rome qui tient encore à la Grèce, c’est quelque chose dans l’art comme certains morceaux de Catulle dans la littérature.

Le théâtre de Marcellus n’a point été dégagé des édifices qui l’entourent et débarrassé des constructions qui le remplissent. Je ne le regrette pas au point de vue du pittoresque et du contraste, car on a la perspective d’une vue de la Rome du moyen âge quand tous les monumens de la Rome antique étaient occupés. Sous les voûtes qui soutenaient les gradins, ces fornices qui dans l’antiquité étaient habitées aussi et moins honnêtement, vivent de pauvres gens qui vendent des ferrailles. Au-dessus des belles colonnes de l’enceinte extérieure, on a construit des murs modernes dans lesquels sont pratiquées des fenêtres, et à ces fenêtres du théâtre de Marcellus on voit des pots à fleurs ni plus ni moins qu’à une mansarde de la