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du voisinage leurs maisons, que probablement ceux-ci ne se souciaient pas de vendre. L’étendue et la régularité du forum en souffrirent, et le maître se résigna. C’est l’histoire du moulin de Sans-Souci :

On respecte un moulin, on vole une province,


a dit le bon Andrieux.

Il est piquant aujourd’hui d’assister pour ainsi dire à ce ménagement d’Auguste pour l’opinion qu’il voulait gagner. En voyant le mur s’infléchir parce qu’il a fallu épargner quelques maisons, on croit voir la toute-puissance d’Auguste gauchir à dessein devant les intérêts particuliers, seule puissance avec laquelle il reste à compter quand tout intérêt général a disparu[1]. L’obliquité de la politique d’Auguste est dans l’obliquité de ce mur, qui rend visible et palpable le manège adroit de la tyrannie se déguisant pour mieux se fonder.

Cette crainte d’offusquer par rien de trop ambitieux se montre dans le soin qu’il eut, comme il nous l’apprend lui-même, de ne point mettre son nom aux édifices qu’il répara, et dans une anecdote qui se rapporte à une construction d’Auguste dont j’aurai à parler bientôt, le temple de Jupiter Tonnant. Auguste, qui avait érigé ce temple, on verra à quelle occasion, craignant, dit-il, de donner quelque ombrage à Jupiter, qui lui était apparu en songe, mais plus probablement d’offenser l’opinion publique, qu’il ménageait plus que Jupiter, en paraissant opposer un temple au grand temple du Capitole, fit attacher au sien des sonnettes, pour indiquer par là que celui-ci n’était que comme la loge du portier, c’est-à-dire une humble dépendance du grand temple du Capitole. Ainsi les monumens bâtis par Auguste attestent son habileté prudente, son adresse cauteleuse ; nul ne rappelle rien de vraiment grand. En effet, on se demande ce qu’a fait de grand ce souverain tant vanté. Est-ce comme guerrier qu’il mérite l’admiration ? est-ce comme législateur ?

Il y eut toujours quelque chose de louche dans sa réputation de courage. Antoine lui reprochait en ce genre de singulières absences. Je sais bien que les accusations d’Antoine sont très suspectes. Cependant il est des hommes qu’on n’a jamais l’idée d’injurier d’une certaine manière. Le plus grand ennemi de César ne l’aurait pas accusé de lâcheté. Il est certain qu’Octave alla rejoindre César en Espagne

  1. Le forum d’Auguste et le temple de Mars Vengeur ont concouru à former le nom de Marforio (Martis forum), qui est celui d’une statue trouvée près de là au moyen âge, et qui a eu une certaine popularité, parce qu’on en avait fait l’adversaire de Pasquin, autre statue antique sur laquelle on affichait les épigrammes contre le gouvernement. On affichait les réponses sur Marforio. L’un était le journal de l’opposition, l’autre le journal du pouvoir. Marforio le conservateur sortait assez convenablement du forum d’Auguste.