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L’HISTOIRE ET LES HISTORIENS DE L’ITALIE.

et que les moines de saint Dominique devaient la préparer selon l’Apocalypse. » On voit qu’il y a dans notre temps bien des rêveries qui ne sont pas nouvelles. Campanella laissa à la torture une livre de sa chair, et vint, destinée étrange, mourir à Paris dans le couvent de la rue Saint-Honoré qui devait s’appeler les Jacobins !

Milan figure dans l’Archivio par trois chroniques, dont l’éditeur est M. Cantù, cet infatigable et intelligent historien qui a débuté par une histoire universelle devenue populaire en Italie. Toutes les chroniques ne sont pas des chefs-d’œuvre, mais presque toujours elles ont le mérite de transporter au sein des événemens qu’elles racontent jour par jour. Elles sont les journaux du passé, renfermant, comme les autres journaux, beaucoup de détails insignifians pour la postérité, parfois de fausses nouvelles et de faux jugemens ; mais, écrites sous la dictée du présent, elles sont instructives, même quand elles se trompent, et curieuses, même quand elles ennuient.

Celles de Milan ne sont pas très-amusantes. Jean de Cagnola, qui écrit pour passer le temps dans son château fort de Sartirana, n’est point un historien critique ; dans ses premiers livres, où il parle du moyen âge, les erreurs abondent. En général les chroniqueurs ont la mauvaise habitude de remonter à l’origine du monde, ou au moins à la venue de Jésus-Christ, et de faire précéder d’une compilation souvent indigeste le récit des faits de leur temps. Cette espèce d’en-tête n’a en général aucun intérêt. Cagnola ne montre dans le sien nulle intelligence de l’histoire, et par exemple il passe très légèrement sur le grand événement de la ligue lombarde ; arrivé aux faits contemporains, il est plus exact et plus complet, mais alors même il reste un chroniqueur, et ne s’élève jamais jusqu’à être un historien. On ne trouve chez lui trace d’aucun sentiment politique : après avoir raconté les faits excellens des Visconti, il raconte les faits glorieux des Sforza. Un de ces chapitres est intitulé commencement de la liberté de Milan, mais il nomme les défenseurs de Milan la faction tyrannique de la liberté ; il loue d’avoir délivré l’Italie du péril de l’invasion Louis le More, qui appela cette invasion. Ce Cagnola me paraît n’avoir été guère moins plat par le cœur que par le style.

J’aime un peu mieux un autre chroniqueur milanais, le patricien Prato : celui-ci ne parle au moins que de ce qu’il sait, il peint assez vivement, comme dit très-bien M. Cantù, « ce mélange de faste et de misères chez les peuples, d’ambition et d’impuissance chez les princes, qui fait le fonds de l’histoire de ces temps-là. » Sa préface sent son grand seigneur. Prato dit d’un ton fort dégagé « qu’il écrit parce que telle est sa fantaisie. » Il ajoute : « Je plairai au lecteur, ou non. Si je lui plais, j’en serai fort aise ; si je n’y parviens pas, je suis tellement accoutumé à perdre mes peines en écrivant pour mon plaisir, que je les perdrai encore cette fois très volontiers. »