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tion de 1845 par un acte additionnel qui consacre de libérales garanties. Les délits de la presse seront déférés au jury. Les sessions législatives des cortès devront être de quatre mois au moins. Les députés promus à des emplois seront soumis à la réélection. Il ne pourra être fait de nomination au sénat que pendant les sessions.

Voilà donc trois questions essentielles résolues. Il est vrai que si en définitive le ministère se trouvait d’accord le lendemain des décrets, il était très divisé la veille. Les membres progressistes du cabinet auraient voulu réorganiser la milice sans la dissoudre ; ils auraient tenu à ne trancher qu’à demi la question constitutionnelle, et ils se sentaient d’autant plus forts en certains momens que le général O’Donnell paraissait incliner vers eux. Il a fallu l’autorité et l’énergie de M. Rios-Rosas pour faire prévaloir des solutions nettes, rationnelles et conservatrices. Ce n’était pas tout encore cependant : il restait l’affaire la plus délicate peut-être, celle de la loi de désamortissement. Lorsque cette question a été soulevée Il y a peu de jours au sein du ministère, elle s’est présentée sous une forme singulière. Le ministre des finances, M. Cantero, proposait au conseil de décréter un emprunt de 30 millions de réaux pris sur le produit de la vente des biens du clergé et destinés à la réparation des églises. La pensée était claire : il s’agissait, au moyen d’une destination pieuse, de donner une confirmation de plus à la loi de désamortissement. M. Rios-Rosas se trouvait absent de ce conseil ; mais dans le conseil suivant il s’opposait formellement au décret de M. Cantero, qu’il combattait à un double point de vue : politiquement il y voyait un obstacle aux négociations que le gouvernement devait renouer avec Rome ; sous le rapport économique, il montrait que la loi de désamortissement, telle qu’elle avait été votée, était ruineuse pour l’état et ne profitait qu’à quelques spéculateurs. La conclusion nécessaire était la suspension de la vente des biens du clergé. Dès-lors la position de M. Cantero devenait difficile ; le ministre des finances soutenait inutilement son projet, et, battu dans le conseil, il finissait par donner sa démission. Il a été remplacé par M. Salaverria, homme jeune encore, qui s’est élevé par son talent dans l’administration, et qui n’a point figuré dans la politique. Dans toutes ces questions, on le voit, l’autorité de M. Rios-Rosas s’est trouvée prépondérante, et l’importance du ministre de l’intérieur a singulièrement grandi en Espagne, où il est considéré comme l’homme politique du gouvernement. Le général O’Donnell a pu être quelquefois d’un avis différent ; il a fini toujours par se ranger aux opinions de M. Rios-Rosas, qui a pour lui l’autorité du talent, l’appui de la reine, le concours de tous les hommes modérés. Dès le premier instant le ministre de l’intérieur a dit le mot de sa politique : ni révolution ni réaction. C’est dans cette voie que l’Espagne doit marcher, et tout indique que la reine est décidée à seconder ceux de ses ministres qui ont la ferme pensée de rasseoir la monarchie sur ses véritables bases, celles d’un ordre régulier et d’une liberté modérée.

EUGÈNE FORCADE.

V. de Mars