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Le soulèvement général de l’opinion empêcha ce détestable dessein de s’accomplir ; mais le vice-roi, après avoir promis solennellement d’y renoncer, fit ce qu’il put pour tenir le moins possible sa promesse. Et dans un chapitre intitulé mesures contre l’hérésie sans inquisition, le biographe de Pierre de Tolède raconte comment celui-ci « prêtait le bras séculier au très révérend vicaire de Naples, faisait arrêter les gens et les envoyait à Rome aux officiers de l’inquisition. » On voit bien que le vice-roi prit quelques mesures, bonnes en elles-mêmes, pour protéger les vassaux des seigneurs napolitains contre les abus de l’autorité féodale ; mais je suis tenté d’en conclure seulement que le gouvernement espagnol voulait ménager les vassaux, parce qu’il les craignait moins que les seigneurs.

D’autres pièces non moins curieuses se rapportent à une affreuse boucherie de deux mille vaudois égorgés froidement comme luthériens, « Ils ont été tués comme des moutons, dit une lettre contemporaine ; ils étaient enfermés dans une maison. Le bourreau venait et les prenait un à un, leur mettait un bandeau sur les yeux, les menait dans un lieu spacieux éloigné de cette maison, les faisait mettre à genoux, leur coupait la gorge avec un couteau, et les laissait ainsi, puis prenait le bandeau ensanglanté et le couteau sanglant, allait en chercher un autre, et faisait de même… On a déjà préparé les chars, tous seront mis en quartiers et placés sur la route que suit le courrier jusqu’aux frontières de la Calabre… On a donné l’ordre de faire venir cent femmes des plus vieilles, de les faire torturer, et ensuite mettre à mort pour que le nombre voulu soit complet. » On voit bien quelque chose de semblable dans l’histoire romaine. Crassus, après la défaite de Spartacus, fit attacher six mille esclaves révoltés sur des croix qui bordaient la Voie-Appienne, de Naples à Capoue ; mais on ne dit pas que Crassus ait torturé et égorgé des femmes. Il ne faisait point cela au nom du christianisme et ne se disait pas chrétien.

Le gouvernement du roi catholique mit aussi à la torture le philosophe Campanella et d’autres dominicains, accusés, comme lui, d’avoir voulu organiser un soulèvement en Calabre et délivrer leur pays du joug espagnol. Les procès-verbaux de la torture publiés par M. Palermo ne laissent aucun doute sur la réalité souvent contestée de l’entreprise de Campanella. Tout ce qu’on vient de lire la justifie assez. L’illustre dominicain était un de ces utopistes du xvie siècle qui avaient puisé le socialisme dans Platon. Sa république idéale, dont la Cité du Soleil contient le fantastique tableau, n’était pas pour lui un simple rêve de l’esprit ; il croyait à son prochain avènement. La confession in tormentis de Campanella nous apprend qu’il avait dit un jour a que la fin du monde était proche, mais qu’avant ce temps il devait y avoir une république, la plus admirable de la terre,