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les institutions de l’Espagne. Par son talent et son caractère en outre, M. Rios-Rosas n’est point homme à accepter un rôle effacé ou équivoque et à subir une politique qui ne serait pas la sienne. De ces situations respectives et des antécédens des hommes on peut déduire tout ce qui est arrivé. La politique conservatrice a fait du chemin depuis deux mois par la force des choses, mais elle n’a prévalu qu’au prix de luttes incessamment renouvelées. Chaque décret important est devenu une sorte de champ de bataille où l’ascendant des uns s’est fortifié, où la position des autres s’est affaiblie, jusqu’au moment où le ministre des finances, M. Cantero, a dû le premier se retirer de ce cabinet né dans le feu de la crise de juillet.

Trois actes principaux, nous le disions, ont marqué l’existence du ministère espagnol jusqu’à ces derniers temps : le gouvernement de la reine a licencié la milice nationale, dissous les cortès constituantes et remis en vigueur la constitution de 1845. Pour peu qu’on observe la situation de l’Espagne, il est facile de voir que ces actes, conformes aux opinions conservatrices, sont la conséquence la plus simple, la plus logique des événemens qui se sont accomplis. En prononçant la dissolution définitive de la milice nationale, le cabinet de Madrid n’a fait qu’obéir à une évidente nécessité. Les partis extrêmes défendent seuls en Espagne la milice nationale, parce qu’ils y trouvent une force irrégulière et mobile dont ils se servent pour faire de temps à autre des trouées dans les institutions. Ce n’est pas seulement l’existence d’un gouvernement conservateur qui est impossible au-delà des Pyrénées avec la milice nationale, c’est l’existence de tout gouvernement. En dissolvant récemment les cortès constituantes, le cabinet espagnol n’a fait que se conformer à la vérité de cette situation. « Dieu n’a point accordé à ces cortès le don de la modération et de la modestie, » dit M. Rios-Rosas dans le préambule remarquable qui précède le décret de dissolution. C’est là ce qui les a tuées, et non le décret royal. L’assemblée est morte pour avoir prétendu à une omnipotence dont elle ne savait pas se servir ; elle est morte de son impuissance et de son triste rôle dans la dernière insurrection. Comment réunir de nouveau cette assemblée, lorsqu’un grand nombre de ses membres avaient pris part à Madrid ou dans les provinces à ce mouvement de résistance armée ? Il est à remarquer que la dissolution des cortès résolvait à demi une autre question non moins grave, la question constitutionnelle. Par une singularité de plus au milieu de tant d’autres, la dernière assemblée s’était réservé le droit de promulguer la constitution votée il y a un an, et elle s’était bien gardée d’user de ce droit, afin de prolonger son existence. Il en résulte qu’en mourant elle emportait avec elle l’œuvre qu’elle avait si péniblement élaborée. Il ne restait plus qu’à choisir entre les diverses constitutions du passé, et dès-lors tout se réunissait en faveur de la constitution de 1845, qui n’est nullement une œuvre de réaction, qui est au contraire le dernier mot de trente années de révolutions durant lesquelles l’Espagne a fait l’essai de tous les régimes. Le choix était d’autant plus naturel qu’en 1854 c’est pour maintenir la constitution de 1845 et pour la défendre qu’on s’était soulevé. Ce n’est que plus tard, par un abus de pouvoir, que le gouvernement sorti de la révolution avait aboli cette loi politique en convoquant des cortès extraordinaires. En revenant aujourd’hui à la vérité des choses, le cabinet complète du reste la constitu-