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Mais l’influence qui a préparé la crise et qui enfin l’a déterminée est ailleurs : elle est en partie dans les exagérations auxquelles on a porté en Allemagne les entreprises de commandite ; elle est peut-être aussi dans l’action que l’on a voulu exercer cette année en France sur la marche des affaires. Nous demandons la permission de dire franchement ici notre pensée, car dans l’ordre d’intérêts dont nous nous occupons, et que régissent des lois naturelles plus certaines qu’on ne pense, le cri è pur si muove jaillit invinciblement de la nature des choses. Nous sommes de ceux qui pensent que depuis quelques années on a eu le tort d’outrer peut-être par des excitations artificielles chez nous et en Europe l’entraînement naturel qui porte de notre temps les peuples vers les grandes entreprises industrielles ; mais nous croyons que si cet entraînement a besoin d’être modéré et sagement conduit, des entraves artificielles lui seraient plus funestes que de factices excitations. Nous craignons qu’en France on ne se soit cette année peut-être trop laissé aller vers cette réaction, et qu’on n’ait péché par excès de prudence. On a eu peur des folies de la paix, on a redouté l’émigration du capital français à l’étranger, et l’on a espéré prévenir ce danger par une mesure restrictive : on n’a autorisé aucune des grandes affaires nouvelles qui réclament la sanction de l’état avec la forme anonyme, et l’on n’a pas permis la négociation à la Bourse des valeurs mobilières représentant des affaires créées à l’étranger par des capitaux français. Qu’est-il arrivé ? Le but poursuivi a été manqué, et c’est peut-être le résultat qu’on voulait écarter qui s’est produit. Une fois de plus l’expérience a démontré que l’on ne peut rendre de plus grand service aux intérêts économiques que de leur laisser leur liberté. Les entreprises étrangères qui se sont présentées sous le patronage de banquiers influens et de capitalistes considérables ont attiré les capitaux français ; de même à l’intérieur, le capital disponible n’a pu aller à de grandes et fécondes entreprises constituées sous la garantie de la société anonyme, et il s’est porté vers des sociétés en commandite qui étaient loin d’avoir une utilité égale au point de vue de l’industrie, et d’offrir la même sécurité comme placement. Les placemens du capital disponible n’ont donc pu être empêchés ; privé même d’emplois plus sains et plus sûrs, il n’a pas hésité à s’engager dans des affaires plus douteuses ; mais, une fois ces placemens faits, le capital disponible y a été retenu par l’interdiction qui empêchait la négociation des valeurs nouvelles où il s’était absorbé. Or la nature des valeurs mobilières, c’est de circuler librement et promptement ; elles sont de plus solidaires entre elles, et si vous en garrottez quelques-unes, vous ralentissez infailliblement la circulation des autres. C’est surtout le capital plus aventureux et plus inquiet attiré par les valeurs nouvelles, qui a besoin de cette liberté de mouvement ; si vous le retenez, si vous l’immobilisez dans les valeurs qu’il vient de choisir, vous l’empêchez de se porter sur les autres, de les soutenir, de les animer ; vous condamnez à l’immobilité et vous exposez au discrédit, en cas d’accident, cette portion de la richesse mobilière du pays qui vient chaque jour se faire tarifer à la Bourse. Telle est, suivant nous, la cause principale de la stagnation surprenante où sont restées depuis la paix les valeurs publiques et industrielles. Quant à l’accident qui a fait dégénérer en crise cette langueur, il est venu d’Allemagne. L’Allemagne est, au point de vue industriel, dans une situation analogue à celle que la