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gent. Si cet état de choses continue, elle absorbera des sommes plus considérables encore que celles qu’elle nous a enlevées.

Maintenant quels sont les effets de cette substitution rapide de l’or à l’argent dans notre circulation ? Évidemment il en résulte une perte pour notre capital en numéraire ; nous perdons une portion de la prime que les demandes de l’Inde et de la Chine donnent à l’argent, perte peu considérable sans doute et insensible dans la masse sur laquelle elle se répartit. L’exportation d’ailleurs trie nos pièces de cinq francs, elle choisit les pièces aurifères et les plus lourdes, et elle nous laisse des pièces de plus en plus légères, et tend à créer ainsi la nécessité d’une refonte, onéreuse pour l’état. Enfin elle met à la charge de la Banque une partie des soins et des frais que lui imposent les achats de matières d’or ou d’argent. Nous ne discuterons pas les remèdes que réclame cet état de choses. Le plus naturel est l’adoption d’un étalon unique, et quant au métal à choisir pour cet étalon, il est indiqué par le mouvement des choses : c’est l’or. C’est ainsi que les États-Unis, qui étaient dans une position semblable à la nôtre, qui employaient concurremment les deux métaux, ont résolu la question pour leur compte : l’argent ne figure plus dans leurs paiemens que pour les appoints ; leurs pièces d’argent, comme celles de l’Angleterre, sont défendues contre l’exportation par leur titre inférieur au rapport commercial des deux métaux. L’exemple des États-Unis nous trace la voie la plus naturelle pour sortir de nos difficultés présentes ; d’ailleurs ces difficultés, quoique méritant d’être prises en considération, n’ont aucune relation nécessaire avec une perturbation telle qu’une crise industrielle et commerciale. Elles seraient à peine senties et remarquées avec plus de curiosité que d’inquiétude, si elles agissaient seules. S’ajoutant à d’autres et plus graves causes de crise, elles ont l’inconvénient d’offusquer les imaginations et d’augmenter le trouble des esprits.

La raison malheureusement la plus sérieuse du malaise dont souffrent les affaires, c’est cette insuffisance des récoltes qui vient s’ajouter encore à une série déjà trop longue d’années malheureuses. Le déficit des approvisionnemens, amené surtout par la mauvaise récolte des blés dans le midi, déficit que les hommes spéciaux évaluent à sept ou huit millions d’hectolitres, la stérilité de nos vignobles, le fléau qui s’est étendu cette année à la production de la soie, ont entraîné leurs inévitables conséquences : nécessité de s’approvisionner à l’étranger, exportation du numéraire, resserrement des facultés de consommation de la population, réduction de l’épargne annuelle et ralentissement dans l’accroissement du capital national. Cependant, comme ces influences et ces résultats malheureux ne surprennent point notre industrie productrice et notre commerce dans une phase d’illusions exagérées et de folles spéculations, comme au contraire notre activité industrielle et commerciale est depuis quelque temps fort modérée, et aurait plutôt besoin de l’éperon que du frein, cette nouvelle année mauvaise semblait pouvoir se traverser encore, avec de grandes souffrances individuelles dans les classes pauvres, sans doute, mais sans perturbation générale. Un intérêt plus élevé devant ramener vers le crédit commercial le capital disponible, nous espérons encore que notre industrie et notre commerce feront bonne contenance et se tireront à leur honneur, de cette nouvelle épreuve.