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exemple de cette solidarité dans la crise actuelle, puisque l’on s’est empressé de donner ce nom à da perturbation qui vient de se trahir par l’élévation subite à laquelle la Banque de France a porté le taux de l’escompte.

Dans ces dérangemens où les intérêts sont si prompts à s’alarmer, les deux choses qui sont le plus à redouter sont la panique et les fausses mesures. La panique, qui aggrave le mal réel de tous les dangers imaginaires que rêve la peur, et les fausses mesures, qui empirent les situations qu’elles ont la prétention de relever, ont la même cause, l’ignorance ou une vue des faits incomplète et insuffisante. Il faut plus que jamais se tenir en garde contre ces deux entraînemens dans les circonstances actuelles, car le trouble qui vient de se révéler dans notre situation industrielle et commerciale n’est point le résultat d’un simple accident. Plusieurs causes y sont en jeu, et quoiqu’elles se réunissent maintenant pour exercer sur les affaires une action simultanée, il importe de ne point les confondre et de savoir en apprécier la nature distincte. L’effet commun est en ce moment l’exportation du numéraire qui entame la réserve métallique de la Banque. Les causes diverses proviennent de la révolution qui est en train de s’accomplir dans la production et la répartition des métaux précieux, de la situation commerciale où l’insuffisance des récoltes place encore la France cette année et des fautes récentes commises en France et en Europe dans le maniement du crédit commanditaire. Qu’on nous permette, sans entrer dans une discussion approfondie, qui ne serait point ici à sa place, d’indiquer rapidement ces trois traits caractéristiques de la situation.

La première cause de l’exportation extraordinaire des métaux n’a point toute la gravité qu’on lui a attribuée dans ces derniers temps. Nous voulons parler du phénomène qui tend à substituer l’or à l’argent dans la circulation métallique de la France. À la découverte des mines d’or de Californie et d’Australie, quelques esprits s’effrayèrent des immenses quantités d’or qui allaient envahir le marché du monde ; ils appréhendèrent que la valeur de l’or par rapport aux autres produits ne subit une dépréciation énorme, et ils invitèrent les pays qui admettaient l’or et l’argent dans leur circulation à démonétiser l’or. Ces craintes auraient été fondées en théorie et auraient été confirmées par les faits, si tandis que la production de l’or en Californie et en Australie s’accroissait d’une façon prodigieuse, les autres productions, les autres applications du capital et du travail fussent demeurées stationnaires. C’est ce qui n’est point arrivé : l’industrie et le commerce du monde ont suivi un développement proportionnel à la diffusion croissante de l’or, et les embarras commerciaux qui ont éclaté l’année dernière et cette année ont prouvé que, loin de souffrir du trop plein de l’or, les nations commerçantes de l’Europe avaient encore à se plaindre de son insuffisance comme instrument d’échange entre les valeurs. Mais si les découvertes des mines n’ont pas apporté de perturbation par la dépréciation de l’or, elles ont en France facilité un changement remarquable dans notre circulation métallique. Quoique la législation française admit les deux métaux, l’or et l’argent, comme titre monétaire, notre circulation était presque entièrement défrayée, avant 1848, par l’argent. Depuis cette époque et surtout depuis trois années, une tendance de plus en plus prononcée chasse l’argent de notre circulation et le remplace par l’or. Pendant les trois dernières années seulement,