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Vienne se montre très rigoureux sur la délimitation de la frontière russe en Bessarabie. L’Angleterre ne fait pas sur ce point des conditions plus dures à la Russie. De là entre ces deux puissances un accord dont la nouveauté et les effets ont lieu d’étonner. On prétend que la France ne serait pas aussi sévère que ses alliés sur la question de Bolgrad, dont nous avons fait connaître Il y a quinze jours la difficulté. Le cabinet de Paris n’aurait pas du moins pensé que ce litige fût un motif suffisant de dispenser l’Autriche d’évacuer les principautés à la date assignée par le traité de Paris, qui donnait un délai de six mois aux puissances alliées du sultan pour retirer leurs troupes du territoire ottoman. Le 1er octobre est l’échéance de cette obligation, que la France et l’Angleterre ont déjà remplie depuis deux mois. Quant à l’Autriche, elle a saisi le prétexte des difficultés élevées sur la possession de Bolgrad pour rester dans les principautés, et, ce qui n’est pas moins curieux, l’Angleterre, qui ailleurs ménage si peu les tracasseries à l’Autriche, a trouvé la raison bonne. Il est donc possible que les Autrichiens n’évacuent pas les provinces danubiennes avant le printemps prochain. Ce retard serait regrettable, car il ajournerait le règlement de questions importantes. La réorganisation des principautés se trouverait ainsi reculée de six mois. Le traité de Paris a décidé en effet que les divans moldo-valaques, qui doivent exprimer les vœux des populations danubiennes sur leur constitution intérieure, ne seront convoqués qu’après la retraite des troupes autrichiennes. Ces divans ne seraient alors rassemblés qu’au printemps prochain, et de longs mois s’écouleraient encore avant que les commissaires puissent commencer leurs travaux. De là aussi des délais pour la réunion de la conférence de Paris, dont toutes les puissances ne sont pas également pressées de voir les délibérations se rouvrir.

Tel est au moment actuel l’ensemble de la politique générale de l’Europe, vue à vol d’oiseau. Nous ne pouvons nous empêcher d’y noter des dissonances assez piquantes. L’Angleterre, qui ne laisse pas dormir l’Autriche en Italie, s’entend à merveille avec elle dans les principautés pour vexer la Russie. La Russie, qui professe sur les affaires d’Italie les mêmes principes que le cabinet de Vienne, rabroue l’Autriche à Moscou, et celle-ci reprend sa revanche à l’embouchure du Danube. La France, plus indulgente et plus courtoise que ses alliés envers la Russie, est récompensée par la circulaire du prince Gortchakof ; elle n’en va pas moins à Naples, avec l’Angleterre, qui paraît lui préférer une autre compagnie en Moldo-Valachie. Quoique nous voyions plutôt une garantie pour la paix dans cet enchevêtrement des intérêts qui se balancent par leurs contradictions, il est bien permis d’y signaler un certain désordre qu’il ne faudrait pas laisser dégénérer en habitude, et bien qu’en somme la chose la plus importante à nos yeux dans la politique européenne, l’alliance anglo-française, n’éprouve dans cette liberté d’allures aucun ébranlement, il nous semble que les esprits sages et les têtes compétentes devraient partout s’appliquer avec le même soin à ne point fatiguer cette grande alliance par une trop inquiète activité ou par de menues divergences trop fréquentes.

On ne voit que trop souvent dans le spectacle des choses politiques les intérêts qui divisent les peuples ; dans les choses économiques au contraire, on est toujours frappé des intérêts qui les rapprochent. On a un vivant