Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/691

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’usurpation sur les états faibles qui forment pour ainsi dire le tissu de son histoire. Ces contradictions sautent à tous les yeux avec une flagrante évidence, et ce serait une tâche aussi facile que superflue de les relever. Si la Russie éprouve une sollicitude sincère pour les intérêts du roi de Naples, que dire de l’opportunité et de la sagesse, de son intervention dans les démêlés de ce souverain avec les puissances occidentales ? La France et l’Angleterre n’ont encore rien décidé et à plus forte raison rien notifié sur les mesures quelles ont à prendre envers Naples, et déjà le prince Gortchakof se hâte de qualifier leur politique et de la dénonce à l’opinion. Est-ce en commettant davantage, par une intervention si peu mesurée et si peu habile, l’honneur des puissances occidentales et les susceptibilités naturelles du roi de Naples, qu’il travaille à l’apaisement des affaires d’Italie ? En vérité il mous répugne d’entrer plus avant dans la discussion de la pièce russe. Le prince Gortcharkof, rompu aux petites malices des petits cercles diplomatiques d’Allemagne, n’est point encore habitué à traiter les grandes affaires devant un auditoire européen. Il faut lui tenir compte de la nouveauté de son rôle, et pour prendre des impressions favorables au nouveau règne qui s’ouvre pour la Russie, nous préférons à sa circulaire les pages sympathiques, animées, spirituelles, éloquentes, où le correspondant du Times a raconté les magnifiques cérémonies du couronnement de l’empereur Alexandre.

Nous avons signalé le passage de la circulaire russe qui va droit à l’adresse de l’Autriche. Ce passage mérite qu’on s’y arrête et peut ouvrir quelque jour sur la situation de l’Autriche. « On adresse à la Russie, dit le prince Gortchakof, le reproche ; de s’isoler et de garder le silence en présence de faits qui ne s’accordent ni avec le droit ni avec l’équité. » Qui a pu adresser un tel reproche à la Russie, si ce n’est une amie ancienne qui essaie d’inviter la Russie à une action commune et de lui faire oublier un refroidissement récent et pénible ? et quelle est cette ancienne amie, si ce n’est l’Autriche ? Quels sont les faits contraires au droit et à l’équité qui auraient été dénoncés à la Russie dans ces mystérieuses avances ? Seraient-ce les déclarations et les démarches de la France et de l’Angleterre touchant les affaires d’Italie ? Il est vraisemblable que depuis la paix et en présence d’éventualités nouvelles, qui peuvent inquiéter ses intérêts, l’Autriche se sera efforcée de calmer les altiers ressentimens du cabinet russe ; il est certain que ces démarches ont été reçues avec défiance et repoussées avec hauteur. L’empereur Alexandre lui-même n’a point épargné les paroles dures aux Autrichiens. Après son couronnement, lorsque le prince Esterhazy est venu le complimenter, on rapporte que l’empereur, élevant la voix aurait dit au représentant de François-Joseph : « Je suis fatigué de la politique à double face ; désormais je ne croirai plus à vos paroles, mais à vos actes. Je sais à quoi m’en tenir sous ce rapport. — À l’heure, qu’il est, aurait-il ajouté, votre souverain n’ignore pas ma pensée à cet égard je la lui ai déjà fait connaître. »

Cette irritation amère serait-elle ravivée par l’attitude que le cabinet de Vienne a prise dans les débats auxquels donne lieu l’exécution des conditions de la paix du 30 mars, ou bien cette attitude, très hostile aux prétentions russes, ne serait-elle qu’une riposte des Autrichiens, repousses et offensés sur un autre terrain ? Nous l’ignorons, Toujours est-il que le cabinet de