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prince Gortchakof lui envoie dans sa circulaire, ne le confirme et à le l’enracine dans cette fatale résistance ?

Nous voudrions n’avoir point à nous occuper d’un document tel que celui que le cabinet de Pétersbourg vient de livrer à la publicité. Ce morceau de littérature politique n’est rien moins qu’heureux. Après les souvenirs que nous avait laissés le ferme et magistral langage des actes de la ; chancellerie russe émanés de l’inspiration de M. de Nesselrode et de la plume de M. de Labenski, notre premier mouvement a été de douter de l’authenticité du document dans lequel le prince Gortchakof essaie de dessiner aux yeux du monde la politique extérieure de son souverain ; mais le trait de la circulaire, « la Russie ne boude pas, elle se recueille, » est, à ce qu’on assure, un irrécusable certificat d’origine. Le prince Gortchakof, auteur de ce joli mot, en est, dit-on, si épris qu’il va sans cesse le répétant depuis trois mois aux applaudissemens infatigables de la petite diplomatie allemande. Le ministre des affaires étrangères de l’empereur Alexandre n’aurait pas dû exposer cette piquante formule au jugement de plus fins connaisseurs. Nous ne voudrions pas condamner les diplomates comme les auteurs de tragédies, à l’usage exclusif du style noble ; mais en français l’antithèse, d’une idée ou d’une expression triviale, opposée à une pensée ou à un mot élevé et grave amène toujours un effet comique. Cet effet comique est un trait d’esprit, s’il a été produit à dessein ; il est ridicule, si l’intention de l’écrivain n’était pas précisément de faire rire. Voilà la nuance ; mais nous adressons de plus graves reproches à la circulaire du prince Gortchakof.

Il y a trois choses dans cette pièce : une protestation au sujet de la Grèce, un plaidoyer en faveur du roi de Naples, une déclaration d’isolement à l’adresse de l’Autriche. Sur le troisième point, nous n’avons rien à démêler avec la Russie ; quand elle parle de ce faisceau d’alliances que les événemens ont rompu, la France n’a pas lieu de se plaindre : elle n’a qu’à recueillir l’aveu d’un succès de la bouche même de ses anciens adversaires, puisque c’était contre elle qu’était dirigé le faisceau d’alliances dont on parle. Si le prince Gortchakof n’avait pris la plume que pour informer le monde de la situation indépendante et réservée dans laquelle la Russie veut se renfermer, nous n’aurions rien à dire ; mais le prince Gortchakof proteste contre l’occupation du Pirée par les forces anglo-françaises. Nous n’avons pas à entrer ici dans le fond de cette question ; il suffit, pour montrer la faute commise par le ministre russe, d’énoncer un fait. Les affaires de Grèce sont en ce moment traitées à Londres par les cinq puissances. La Russie prend part elle-même à cette conférence officieuse. Avant que les délibérations qui ont lieu à Londres, et auxquelles elle participe, soient terminées, la Russie n’a pas le droit de prendre vis-à-vis de cette question une position isolée et d’adresser un appel public à l’opinion. Il y a dans ce procédé une étrange incorrection de conduite dont le prince Gortchakof n’a point trouvé l’exemple dans les traditions du comte de Nesselrode.

Si la sortie de la circulaire russe à propos des affaires de Grèce est un manque de procédés, la digression sur les affaires de Naples est une imprudence compromettante. Nous ne ferons point ressortir les contradictions qui existent entre les principes affichés aujourd’hui par la Russie sur le respect des droits de la souveraineté et la nombreuse série d’actes d’ingérence et