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qu’il hait presque toujours, et pour lequel il n’a jamais assez de quolibets amers, de plaisanteries et d’outrages. Nous sommes doués d’une sorte de génie fatal pour découvrir les vulgarités, les mesquineries, les bassesses du présent, et pour opposer les résultats que nous avons obtenus aux résultats que nous avions désirés. Bien des gouvernemens qui n’étaient coupables de rien, sinon d’exister, ont fait cette grave et dure expérience. Cette disposition d’esprit domine toute notre histoire, et a donné lieu à des contradictions qui ont à bon droit étonné les autres nations. C’est ainsi que nous passons tantôt pour un peuple révolutionnaire, tantôt pour un peuple monarchique, et les deux opinions sont également vraies, également motivées. Cependant le présent seul est le vrai terrain de la liberté ; si le passé entre pour beaucoup dans la formation de l’individu, si l’avenir est le but vers lequel il doit tendre, c’est dans le présent seul qu’il vit, respire et travaille. Le passé ne reviendra plus, et l’avenir arrivera toujours trop vite, si nous ne l’avons préparé. Savoir utiliser le présent et préparer l’avenir, savoir travailler dans les conditions qui nous sont données, c’est la ce qu’il nous faut apprendre.

L’éducation de l’individu est donc à faire presque tout entière. Nous avons signalé bien des obstacles, qui sont tous le fruit d’une fatale tradition historique. Et le remède, direz-vous, le moyen d’arriver à cette éducation individuelle, à cette réforme intérieure ? Le remède ! Si je le tenais dans la main, je n’imiterais point l’égoïste Fontenelle, et je le montrerais immédiatement. Si j’écoutais cet instinct français que j’ai signalé, je me retournerais volontiers vers le passé, et je dirais qu’il sera éternellement regrettable que les choses n’aient pas suivi un autre cours il y a trois siècles. Regrets inutiles et désormais parfaitement stériles ! Mais sans aller si loin, n’est-ce pas un remède que d’arriver à connaître sa vraie situation, à réfléchir sur la cause de ses malheurs, à confesser ses imperfections ? Si nous aurons une fois ce courage, un grand point sera désormais gagné, car nous aurons rompu avec des habitudes fatales. Connaître sa vraie situation, c’est l’avoir réformée à moitié. Il y a une pensée profonde d’un rêveur allemand par laquelle nous aimerions à conclure : « Nous sommes bien près de nous réveiller lorsque nous rêvons que nous rêvons. » Efforçons-nous donc de tout notre pouvoir d’arriver à cet heureux rêve, indice et précurseur du réveil.


EMILE MONTÉGUT.