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belle science politique et administrative qui faisait l’orgueil du continent. En même temps qu’elle conservait ses anciennes institutions, elle en acceptait les conséquences naturelles. Ses révolutions, objets de scandale pour l’Europe asservie, au lieu d’être inspirées par un esprit de nouveauté, l’étaient par un esprit de conservation. Strafford, Charles Ier, Jacques II étaient, eux aussi, à les entendre, de fidèles gardiens de la tradition, et en même temps des novateurs bienfaisans qui rougissaient de voir leur peuple rester si arriéré et si loin du gouvernement régulier du continent. Le peuple anglais ne voulut pas croire à leur amour de la tradition, et repoussa leurs prétendus bienfaits. Les institutions du moyen âge depuis trois cents ans n’ont pas été renversées en Angleterre, on pourrait dire que le moyen âge l’existe encore tout entier, et pourtant qui le reconnaîtrait ? La semence qu’il contenait s’est développée, et d’elle-même elle a produit sa moisson naturelle, libertés constitutionnelles, légalité, indépendance personnelle, esprit de famille, activité individuelle, moralité populaire. Cette explosion de la liberté humaine, qui eut lieu au XVIe siècle, était donc un fait traditionnel, et la résistance qu’elle rencontra fut le seul fait révolutionnaire. Il a été très bien dit par une bouche éloquente que ce n’était pas la liberté, mais la tyrannie qui était nouvelle en Europe.

Le monde antique s’était laissé garrotter dans les liens du système impérial en applaudissant ses tyrans ; mais dans les temps modernes il n’en a pas été ainsi, et l’âme humaine n’a cessé de protester contre cette action mécanique sous laquelle on prétendait la faire ployer. Elle s’est soumise, mais toujours en faisant ses conditions et en se réservant de revendiquer un jour ses droits. C’est là surtout le singulier spectacle que présente la France des trois derniers siècles. Soumise, par les nécessités de son histoire, de sa situation continentale et même de ses passions, à cette centralisation excessive et à cette absorption de l’individu dans l’état, elle n’a cependant jamais considéré ce gouvernement que comme passager. Ce n’est que pour un temps et comme moyen de transition qu’elle renonce à la liberté ; mais ce pacte tacite se renouvelle incessamment, et toujours avec la même facilité et la même obéissance, car aussitôt qu’il est brisé, l’inexpérience de la liberté se révèle, et il est nécessaire de le rétablir. La révolution française, avec ses espérances ardentes et ses amères déceptions, avec son enthousiasme et sa terreur, ses brûlans appels à la liberté et ses méthodes despotiques de gouvernement, exprime bien les difficultés de cette situation fatale. Que de fois la France s’est écriée : Le moment est arrivé, le pacte est rompu ! Autant de fois elle a prononcé cette parole, autant de fois elle est revenue se placer sous l’égide de l’autorité, honteuse d’elle-même