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ceux auxquels il s’adresse, est remplacé par le verbe personnel je dois, expression d’une volonté libre et signe d’une conscience en possession d’elle-même.

Voilà donc la civilisation tout entière, à la fois dans son passé et dans son avenir. Créée par l’individu, elle doit à son tour créer l’individu. Si elle facilite cette expansion de la vie, si elle prête son aide à ce développement de l’âme humaine, elle est fidèle, à sa mission ; sinon elle rétrograde. Nous avons là, par conséquent un critérium infaillible pour juger des l’excellence relative des institutions et des systèmes politiques » Les meilleurs sont naturellement ceux qui sont les plus aptes à former le plus grand nombre d’individus, et ceux qui accordent à l’individu sa juste part dans le gouvernement de la société. Lorsqu’une machine impersonnelle, irresponsable, se charge seule du gouvernement des hommes, la civilisation, au lieu d’être un bienfait, devient un fléau, et l’âme humaine court de très grands dangers. Dans son état primitif, elle n’était que sauvage ; la voilà maintenant qui se déprave, car lorsqu’elle est opprimée par des mécanismes politiques nés d’une combinaison artificielle de l’esprit, toutes les subtilités de la corruption lui deviennent familières. L’activité morale cessant, tout ce que l’âme humaine avait conçu se retourne contre elle. Tout horizon lui étant fermé, elle s’attache avec une frénésie désespérée, aux moyens d’action qu’elle s’était créés, aux outils qu’elle s’était forgés ; l’or, l’argent, la matière travaillée, autrefois moyens, deviennent un but. Mais bientôt il se passe un phénomène plus effrayant : c’est que lorsqu’une société a été soumise, trop longtemps à ce système, il devient, presque impossible de l’en affranchir et de rendre à l’individu son droit d’initiative. « Je suis toujours étonné, dirait un démocrate à une époque de réaction politique, de voir que les conservateurs et les modérés omettent dans leurs discussions le seul argument qu’ils puisent légitimement invoquer, c’est que l’humanité est très corruptible. La moindre occasion lui est bonne pour se dépraver. Donnez-moi dix années de carnage, et vous verrez reparaître l’anthropophagie. » Rien n’est plus vrai. L’homme a un penchant irrésistible qui le porte vers la corruption, mais qui redouble lorsque son activité est par trop gênée. Ainsi une liberté politique restreinte est rachetée par la licence des mœurs ; l’inaction spirituelle entraîne la paralysie du sens moral, la perte du sentiment de Irresponsabilité. Au bout d’un certain temps de ce régime anormal et contraire à la santé de l’esprit, la nature humaine est changée. Alors les moindres circonstances indiquent, de manière à ne pas s’y méprendre, que, bon gré mal gré, ces barrières et ces limites imposées à l’individu doivent être maintenues. Le despotisme devient presque une nécessité, et la compression un devoir.