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dans le monde moral est différent et marqué du sceau de la variété. L’individualité consistant dans un travail libre de l’homme sur lui-même, dans un effort pour pétrir la terre primitive des instincts, infinies sont les modifications que revêt cette substance première, selon le degré de l’effort, la direction de la volonté, la résistance ou la mollesse de la matière, l’excellence de l’ouvrier, — Incomplètes, ébauchées, bizarres, harmonieuses, mais toujours diverses et variées, ne se répétant jamais, sont les formes qui remplissent le monde moral. Elles n’appartiennent ni à un genre, ni à une espèce ; chacune d’elles est unique. Le mélange d’instinct et de vertu, de sagesse et de passion qui constitue telle individualité ne se retrouvera jamais plus ; Il n’y a pas de moule qui conserve les formes de l’individualité, et chaque individu est une œuvre d’art particulière, une statue créée par elle-même, et qui emporte avec elle les outils, la matière, le moule au moyen desquels elle s’était formée. De là la poésie du monde moral et le charme magique de l’histoire. Que raconte l’histoire en vérité sinon les annales de quelques milliers d’individualités ? De nos jours ; on a essayé de bouleverser les lois de l’histoire : on a prétendu, par une fausse application des principes démocratiques, faire l’histoire des peuples et non celle des individus ; mais il est remarquable que cette tentative n’a jamais pu se réaliser, et que l’historien est obligé, malgré lui, de nous présenter, non des masses indistinctes, non ces êtres de raison qui s’appellent peuples, foules, nations, mais des acteurs déterminés, distincts, frappés du chaud rayon de la vie, des individus en un mot dont les images restent dans notre souvenir plutôt par ce qu’elles ont de différent que par ce qu’elles ont de semblable. L’histoire n’est composée que de personnages, et le genre humain n’y apparaît que comme le fond du tableau, comme la matière première sur laquelle l’individu grave son nom.

Si l’individu est toute l’histoire, il est par conséquent toute la civilisation, et en effet il l’est en un double sens, comme cause et comme résultat. Cette variété infinie que présente le monde de l’histoire indique dans chaque individu la présence d’une force particulière, entièrement personnelle, qu’aucun autre homme n’a possédée, et qui par conséquent doit déterminer toute une série d’actions dont elle est la cause, et qui sans elle n’existeraient pas. Avec chaque individualité nouvelle, les affaires humaines prennent une nouvelle direction. C’est un nouveau plan politique, une nouvelle méthode, une nouvelle manière de penser, que sais-je ? quelquefois même une résurrection de vieilles méthodes et de vieux faits depuis longtemps oubliés. Et en même temps il se passe un phénomène contradictoire qui vient compléter ou élargir à l’infini l’œuvre des individualités. De même que les individus créent la civilisation, la