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de sa souveraineté. Malheureusement pour le prince Danilo, la France et l’Angleterre, qui se sont engagées, pendant la guerre d’Orient et à l’ouverture du congrès de Paris, à respecter l’intégrité du territoire ottoman, n’ont aucune raison pour en détacher un pays que des sympathies ont rattaché jusqu’à ces derniers temps à la Russie ; elles ne peuvent interposer que les conseils de la modération. La Porte paraît disposée à accorder au prince Danilo une rectification de frontières et un agrandissement du côté de la mer, mais à la condition expresse qu’il acceptera sa suzeraineté. Cette condition est précisément celle qui répugne le plus au prince Danilo, et ce sera la vraie difficulté pour la diplomatie. En attendant, le prince Danilo cherche à se faire des amis au dehors et à donner des gages de sympathie aux nations occidentales. La princesse de la Montagne-Noire a fait offrir à l’empereur des Français un superbe costume de Monténégrin brodé par elle. M. Delarue vient de conduire à Paris les deux neveux du prince, qui doivent faire leurs études au collège Louis-le-Grand. Cependant les moindres prétextes donnent naissance à des reprises d’hostilité. Au mois de juillet 1856, les troubles de Podgoritza et de Scutari ont renouvelé les luttes individuelles entre les Monténégrins et les Albanais. Puis est venue l’invasion de la tribu des Kutchi, et l’ordre envoyé à Abdi-Pacha de quitter Monastir avec dix mille hommes pour réprimer les brigandages qui désolent la Haute-Albanie. Une troupe de Monténégrins s’empare du fort de Medun ; cette prise amène une rupture déclarée entre la Turquie et le Monténégro. Les Turcs emportent vingt-deux têtes de Monténégrins tués dans un combat d’avant-poste le 7 août, et les suspendent aux créneaux de la forteresse de Rosapha. La lutte allait prendre de terribles proportions, quand les consuls de France et d’Angleterre intervinrent et obtinrent un armistice. Le succès de cette intervention est un fait qui est digne d’être remarqué. En ce moment, les hostilités restent suspendues, la diplomatie s’est émue de nouveau, et des démarches ont été faites par M. de Prokesch-Osten, internonce à Constantinople, et par le prince Callimafci. Dans l’intérêt du Monténégro, il serait à désirer que cette situation se prolongeât : ce serait pour lui une occasion de prouver par une attitude calme qu’il est digne de l’indépendance qu’il réclame. L’Europe peut vouloir l’indépendance d’une- nation décidée à vivre paisiblement sous des institutions régulières ; mais pourrait-elle désirer l’existence d’un camp indisciplinable ? Que le prince Danilo comprenne bien qu’il a plus à gagner par la tranquillité que par la guerre, et il aura avancé assurément l’œuvre qu’il poursuit avec tant de résolution.


ARMAND BASCHET.