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a fait quelque chose pour moi. Pourtant, après les guerres, elle a toujours oublié le Monténégro dans les traités. J’ai confiance aujourd’hui dans la France et l’Angleterre. Je veux transformer mon peuple, j’enverrai aux écoles de France mes deux neveux. Encore un demi-siècle, et le Monténégro, si on lui veut du bien au dehors, portera son activité sur l’industrie. Il me tarde de savoir le sort que le congrès me réserve, ce que les puissances puissantes feront de moi. Elles institueront sans doute une commission qui viendra visiter nos montagnes, qui voudra connaître notre peuple, ses besoins réels, et déterminer nos frontières. J’accepterai le jugement prononcé. Ce jour-là on ne me tiendra plus pour un rebelle, pour un chef de brigands, pour un homme de mal ; ce jour-là je serai reconnu indépendant ; la guerre ne serait plus la seule joie de mon peuple et, il faut le dire, son seul moyen de vivre sur un sol qui ne peut le nourrir. Qu’on nous rende les frontières qui nous appartiennent, que nous puissions cultiver ailleurs que sur des pierres brisées ou dans les cavités des rochers, et les bras qui n’ont jamais quitté le fusil le laisseront pour des occupations plus utiles.

— On ne se déshabitue pas aisément, lui dis-je, du fusil et du sabre.

— Il faut d’abord pouvoir vivre sans cela. C’est au congrès à nous en donner les moyens. Êtes-vous sûr, ajouta-t-il tout à coup, qu’à Paris on s’occupera des Monténégrins ?

— On s’en occupera sans aucun doute ; il est même impossible qu’on ne statue pas sur la situation du Monténégro.

— Par conséquent je saurai dans deux mois au plus tard ce qu’on fait de moi, des miens, de mon pays. Je sens que ce que vous appelez la politique me conseille de ne point trop demander d’abord, de me montrer satisfait des décisions qui me seront favorables. Cependant je ne réclame que mon droit, ce qui nous appartient, ce qui est notre patrimoine national.

— Prince, dit lentement le consul, nous ne faisons ici que des hypothèses ; de même que nous pouvons conjecturer à l’avantage de votre altesse, nous pouvons conjecturer aussi à son désavantage. Ne se peut-il que dans les discussions du congrès l’habileté d’Aali-Pacha ne vous porte malheur et ne fasse incliner les décisions vers la suzeraineté de la Sublime-Porte plutôt que vers le principe de l’indépendance monténégrine, si bien défendu par votre altesse, et sur l’adoption duquel elle conçoit peut-être trop d’espérances ?

— Mais qu’arriverait-il donc alors ? demanda le prince avec une anxiété dont l’expression fut magnifique.

— Il arriverait que votre altesse verrait ajournée pour longtemps toute satisfaction de ses désirs, et qu’elle devrait reconnaître que son pays fait partie de l’empire ottoman.