Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peuple sous ce titre pompeux : Proclamation aux Monténégrins du muchir Orner-Pacha, serashier de toute l’armée du grand-seigneur en Europe. Le pacha engageait les Monténégrins à la soumission, les accablait de promesses et finissait par leur demander une prompte réponse qu’il pût immédiatement présenter au grand-seigneur. Le Monténégro ne se soumit pas, et son prince multiplia de nouveau les efforts pour faire face à l’orage, qui s’annonçait terrible. Omer-Pacha commandait 20,000 hommes, et quand l’armée de Bosnie, qu’il attendait, aurait rejoint la sienne, il ferait marcher 50,000 soldats contre le petit coin du monde appelé Monténégro. L’attaque devait se faire de trois côtés à la fois.

C’est alors qu’intervint la diplomatie de l’Autriche. Le cabinet de Vienne vit avec déplaisir une si grande agglomération de troupes sur ses frontières, et, ayant en outre à se plaindre de traitemens horribles infligés à des chrétiens, elle envoya à Constantinople, avec ses pleins-pouvoirs, M. le comte de Leiningen-Westerbourg. Grâce à la fermeté de cet habile diplomate, elle obtint, entre autres concessions, le rappel immédiat des troupes d’Omer-Pacha. Elle se réserva en même temps le droit d’entrer dans le Monténégro, si Danilo continuait la guerre. Les hostilités cessèrent. Il n’y eut plus que des rencontres particulières. Le consul de France obtint même du prince, au commencement de 1855, une espèce de trêve tacite, et Danilo tint à honneur de la faire observer. Il y a six ou sept mois, quelques Monténégrins l’ayant enfreinte du côté de Podgoritza, il les fit punir et offrit spontanément aux offensés une indemnité pécuniaire. Cela dura jusqu’au mois de juillet dernier.

En 1855, Danilo s’est marié. À cette occasion, le roman prit le pas sur la politique. Danilo voulait épouser une princesse de Servie, et ce projet l’a mené plusieurs fois, à la fin de 1853 et en 1854, à Trieste et à Vienne. Là, il se civilisait de plus en plus ; ce rude guerrier des montagnes en vint même jusqu’à pouvoir danser convenablement une polka. En 1854, se trouvant à Trieste, il fut fêté et choyé par les Grecs et les Slaves qui résident en cette ville, où les grandes fortunes commerciales sont si nombreuses. Le prince prenait plaisir aux brillantes réceptions, aux repas somptueux et à d’autres splendeurs peu usitées chez les dignitaires de ses montagnes. Il connut entre autres la famille Queqvich et accepta d’elle une invitation à dîner ; ce dîner fit son mariage. Placé auprès de Mlle Darinka Queqvich, il eut pour sa voisine des attentions qui ne furent pas dédaignées, et au mois de janvier 1855 Mlle Darinka devint princesse du Monténégro avec 100,000 florins de dot. Lors qu’elle quitta Trieste pour se rendre en sa principauté, une de ses amies lui fit part de ses inquiétudes, prévoyant qu’elle s’habituerait difficilement aux coutumes d’un pays si barbare. « Ce sera ma tâche