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Du 23 au 24 novembre 1852, par une nuit ténébreuse et par une pluie battante, trois cents Monténégrins s’avancèrent sans bruit jusqu’au fort de Zabliack, sur la Moratcha, à l’extrémité du lac de Scutari. Ils s’attendaient à une vive résistance. D’après les ordonnances militaires, la garnison devait être de cent hommes au moins ; mais telle était l’incurie des Turcs avant la guerre d’Orient, que pour tous défenseurs les assaillans ne trouvèrent dans cette position si importante qu’une quinzaine de Turcs endormis. Zabliack et son village tombèrent ainsi au pouvoir des Monténégrins, À cette nouvelle, Danilo descendit promptement de ses rochers, entra à Zabliack, et envoya partout, dans les districts du Monténégro proprement dit et des Berda, des messagers pour proclamer la guerre : « Que tous ceux, disaient ces messagers, qui ne sont pas nécessaires à la défense des frontières du nord et de l’est, c’est-à-dire de l’Herzégovine, descendent aux rives de la Moratcha ! » De son côté, Osman-Pacha fit retentir les canons de sa forteresse de Scutari pour appeler aux armes les Turcs d’Albanie. Ainsi commença la guerre. La Russie y poussa-t-elle Danilo ? Il serait puéril d’en douter. Danilo se montra alors guerrier intrépide, lutteur acharné, ennemi implacable. Un jour il lança un décret d’exil contre tous ceux qui, en état de porter les armes, ne défendraient pas la patrie. On vit alors, parcourant les de filés, gardant les issues, prêts à donner l’alarme, les enfans mêmes. La veille de la première bataille en plaine soutenue par les Monténégrins, on ne trouvait dans tout l’intérieur du pays que les femmes, les enfans trop faibles, les vieillards trop courbés.

De lutte en lutte, d’escarmouche en escarmouche, Danilo arriva à maintenir la guerre et à occuper le Turc pendant plus d’une année. Il avait perdu Zabliack dans le mois de janvier 1853. Omer-Pacha crut le moment venu de diriger de rudes attaques, mais il dut s’étonner de l’habileté et de la tactique que révélaient les manœuvres des ennemis, et reconnaître avec amertume que, si c’étaient des espèces de guérilleros, forts des défilés et des escarpemens de leurs montagnes, ils étaient commandés par un vrai capitaine. Danilo était partout, la veille dans une nahia des tribus alliées de la Piperska, aujourd’hui dans Bielawpawlitska, demain à Cétigné. Il poussait la guerre avec une décision remarquable. Un jour, voyant le triste état des finances, il donna à la tribu son patrimoine tout entier, et faisant un héritage de 20,000 sequins, il les employa à augmenter la solde des vieillards et des périanigs, qui avaient à leur charge les fa milles des guerriers. Omer-Pacha et Osman-Pacha n’avaient pas prévu que leurs troupes combinées seraient tenues si longtemps en échec par une tribu qui ne pouvait armer que vingt mille combattans. Omer-Pacha tenta alors les voies de la conciliation. Danilo reçut un jour, en date du camp de Martinisch, une proclamation adressée à son