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de ses montagnes, comme pour se préparer à la dignité épiscopale, il partit dans le courant de février 1852. Cependant à ce moment même de sérieuses hostilités éclataient sur les frontières turques de Spuza et de Podgoritza ; Omer-Pacha, qui parcourait l’Herzégovine et la Bosnie, regardait d’un œil impatient les cimes arriérés du Monténégro, et, du haut de sa forteresse de Rosapha, Osman-Pacha, tant célébré dans les chansons modernes de l’Albanie, concevait des projets belliqueux contre les hommes du Karadak ([1].

Arrivé à Varsovie, le jeune chef s’entretint avec le maréchal Paskiévitch et lui laissa entrevoir ses projets. « Ma plus grande ambition, lui dit-il, est de rétablir l’ancienne constitution du pays, de séparer le pouvoir politique du pouvoir religieux[2]. Votre excellence ne pense-t-elle pas qu’il faut à un état belliqueux un prince séculier qui puisse commander l’année, diriger une expédition et combattre ? » Le maréchal ne pouvait guère répondre nettement à cette question un peu brusque, mais il appuya auprès de l’empereur les propositions de Danilo. L’empereur Nicolas, qui comptait se brouiller avec le sultan, comprit aisément que les Monténégrins, sous un chef militaire, pourraient, dans l’occasion, faire à son profit une diversion utile. Il consentit, et pour donner au changement de la constitution une apparence de légalité, M. de Nesselrode envoya le colonel Kovalevski, avec le titre de commissaire provisoire, pour consulter le vœu de la population. Le colonel interrogea avec respect le sénat, assembla les vieillards, les flatta en les questionnant, et, les ayant gagnés à force de caresses, obtint sans peine l’assentiment du peuple. Après quelques lettres diplomatiques échangées entre la Russie et l’Autriche, Danilo reçut à Saint-Pétersbourg l’investiture de prince régnant du Monténégro et des Berda, avec les insignes de Saint-Stanislas.

Danilo repartit pour ses états vers la fin de juillet. Pendant son absence, son oncle Pero Tomaso avait ourdi contre lui une conspiration ; mais George Pétrovitch, un des puissans du pays, avait de joué bravement le complot. Tout était remis en ordre, et Danilo eut l’habileté de paraître ignorer les menées de son oncle. Il arrivait la tête remplie de ses idées de réforme. Préoccupé d’abord des besoins matériels, il fit tracer de Cattaro à Cetigné, à travers les rochers, une route qui doit se continuer jusqu’à Rieka. Il agrandit sa capitale. Il songea à faire des lois, et il prouva, ce qui était plus difficile, qu’il saurait les faire exécuter. Son conseil prépara un nouveau

  1. Les Turcs appellent ainsi le Monténégro.
  2. La dynastie d’Ivan Ier Tserni, prince séculier du Monténégro, s’est éteinte dans la personne de George V, qui abdiqua et remit, du consentement du peuple, l’autorité entre les mains du métropolitain. Depuis ce temps, les évêques du Monténégro réunissaient les deux pouvoirs, civil et religieux, sous le nom de vladikas.