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On a certainement quelques raisons de croire aujourd’hui que de grands changemens auront lieu au Japon ; mais ils ne se réaliseront pas aussi vite qu’on semble l’espérer. L’empereur prendra son temps pour préparer ce grand événement, et il paraît en effet qu’une réunion extraordinaire des principaux seigneurs de l’empire aurait été tenue en 1853, à Yédo, pour la révision des lois sur les étrangers. Il aurait été décidé : 1o  qu’on accorderait quelques points du territoire aux étrangers comme pied-à-terre, pour l’établir des dépôts de charbon, et comme lieux de refuge et de ravitaillement pour les navires en détresse ; 2o  qu’avant tout le Japon choisirait son heure pour la révision de ses lois et la réorganisation complète de son état militaire ; 3o  que, dans tous les cas, l’admission des étrangers ne pourrait avoir lieu que dans des conditions très restreintes. Ces décisions contredisent le traité que les Américains prétendent avoir obtenu, mais elles s’accordent très bien avec le traité anglais.

La France se dispose à joindre ses efforts à ceux que viennent de faire d’autres nations : elle ne peut rester étrangère, quoi qu’il arrive, au mouvement qui se porte vers cette partie lointaine du monde. Elle n’a contre elle au Japon aucun des antécédens fâcheux de la Russie, de l’Angleterre, de l’Espagne, ni les formes vulgaires des Américains. La démarche que fit en 1846 M. l’amiral Cécille à Nagasaki, dans l’intérêt des marins français que la tempête pourrait jeter à la côte, fut conduite par lui avec une délicatesse et une dignité que les Japonais apprécièrent beaucoup, et dont ils conservent le plus honorable souvenir. L’admiration qu’ils ont d’ailleurs pour la gloire militaire a popularisé chez eux le nom de Napoléon. C’est là un moyen d’influence que le gouvernement saura faire servir, on doit l’espérer, aux intérêts de la France dans ces mers lointaines.


J. C. DELPRAT.