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une bien autre prépondérance que les États-Unis, eût accepté des conditions si inférieures à celles que ces derniers prétendent avoir obtenues.

L’expérience que les Américains ont voulu faire de leur traité confirme d’ailleurs cette opinion. Voici ce que rapportait, au mois d’octobre 1855, le New-York Herald : « Le gouverneur de Simoda a contesté, dans une proclamation, le droit des Américains de résider dans le Japon, sauf les cas de naufrage ou de force majeure. Ainsi le droit accordé par traité aux Américains se trouve réduit au simple privilège d’entrer dans les ports de l’empire, comme lieux de refuge. » Cette proclamation est en tous points conforme aux conditions accordées aux Anglais.

De toutes les démarches qui ont pour but d’obtenir l’accès de toutes les nations au commerce du Japon, celle que fit en 1844 le roi de Hollande Guillaume II est certainement la plus loyale et la plus généreuse, puisqu’il venait demander pour les autres des avantages qu’il possédait lui-même. L’empereur du Japon répondit « qu’il avait observé attentivement les événemens qui venaient de changer les institutions politiques et commerciales de la Chine, et que précisément ces événemens sur lesquels reposaient les conseils du roi de Hollande lui prouvaient clairement qu’un état ne peut conserver une tranquillité durable que par l’exclusion des étrangers. Si les Chinois, ajoute-t-il, n’avaient jamais toléré les établissemens des Anglais à Canton sur une aussi grande échelle, les différends qui ont amené la guerre ne seraient jamais survenus[1], ou bien les Anglais se seraient trouvés si faibles qu’ils auraient dû succomber dans une lutte inégale. Du moment qu’on cède sur un point, on est beaucoup plus vulnérable sur les autres. Ainsi raisonnait mon aïeul quand il vous accorda de faire ici le commerce ; sans les preuves de véritable amitié que vous avez si souvent données à notre pays., il est certain que vous eussiez été exclus comme tous les autres peuples d’Occident. Maintenant que vous possédez cet avantage, je souhaite que vous le conserviez, mais je me garderai bien de l’étendre à toute autre nation, quelle qu’elle soit, car il est plus facile de conserver une digue en bon état que d’empêcher l’agrandissement de la brèche, quand une fois elle l’est faite. J’ai donné mes ordres en conséquence, et l’expérience vous apprendra que notre politique est plus sage que celle de l’empire chinois. »

Si je rapproche ce langage de celui que les Américains font tenir maintenant à l’empereur du Japon, je suis tenté de croire à de grandes

  1. Il fait allusion à l’immoral trafic de l’opium en Chine, dont l’interdiction fut pour les Anglais le véritable motif de la guerre.