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auraient abandonné depuis longtemps leur comptoir de Décima, si ce moyen leur avait été entièrement retiré.

Ces vérités n’empêchent pas que l’ouverture des ports du Japon ne soit fort désirable. Ces ports offriraient du moins de véritables avantages à la navigation et des refuges aux nombreux baleiniers que le mauvais temps tourmente fréquemment dans ces parages. Quant aux espérances commerciales que conçoivent les Américains, nous pensons qu’elles renferment beaucoup d’illusions et d’erreurs. Dans un pays tout à fait neuf, on a toujours les chances de l’inconnu ; il y a souvent des mécomptes, mais il y a aussi des succès inespérés. Le Japon n’est pas dans ce cas ; deux cent cinquante ans d’expériences faites par les Hollandais, par un peuple éminemment commerçant, peuvent donner la mesure assez exacte de ce qu’on doit espérer ou prévoir. Certes le dernier mot n’est pas dit dans cette question, loin de là. Si le Japon ouvrait librement ses ports à toutes les nations, si par ses relations extérieures, dégagées de toutes les entraves du passé, il attirait chez lui les produits si ingénieux et si variés de notre industrie commerciale, il est possible qu’il pût surgir de la des combinaisons inattendues et des moyens dont on ne saurait calculer encore la valeur. Ce qui importe, c’est de ne rien exagérer ; or, en prenant l’expérience pour règle, on est forcé de convenir que le Japon n’a pas jusqu’à présent laissé deviner les avantages qu’en peut tirer le grand commerce du monde. N’oublions pas sa position géographique. Placé à l’extrémité de l’Orient, ses produits devraient être abondans et de nature à procurer de riches retours pour compenser les frais et les difficultés d’un voyage si long ; ils devraient par-dessus tout se composer de denrées étrangères à nos climats. Le Japon ne présente rien de semblable. Après ses laques, ses porcelaines et les objets si précaires de son industrie, qui perdraient toute leur valeur s’ils cessaient d’être rares, nous ne trouvons rien au Japon que nous ne puissions produire beaucoup mieux et à meilleur marché. Si du moins le Japon se trouvait, commercialement parlant, sur une ligne de navigation très-fréquentéé, il pourrait devenir un centre d’entrepôt, comme par exemple Singapore et Java ; mais Singapore et Java, outre qu’ils possèdent des produits tropicaux, occupent une position admirable pour les navires de passage qui viennent souvent y compléter des chargemens commencés ailleurs. De la des échanges de marchandises et un mouvement de commerce qui ne peut se porter au Japon, livré à ses propres ressources et relégué au bout du monde, dans l’isolement qu’avant la politique la nature lui avait assigné.

La Chine par la mer de Corée, et la Russie par le Kamtschatka, trouveraient seuls des avantages certains dans l’ouverture des ports