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Américains, Un navire tout chargé de cotons étrangers en ferait tom ber les cours si bas, que la vente deviendrait impossible[1]. D’ailleurs les Japonais fabriquent aussi des cotons à bon marché pour la consommation habituelle ; ces cotons sont plus forts et mieux teints que les nôtres de même valeur, et les étoffes de ce genre, apportées par nous, sont pour eux des objets de pure fantaisie, parfaitement inutiles.

La liberté complète du commerce rendrait peut-être l’usage de nos produits plus général ; mais il faudrait d’abord renverser la chambre du trésor et tous les vieux règlemens, ce qui paraît difficile. Il faudrait surtout pouvoir traiter directement et soi-même avec les négocians japonais, sans passer par tous les intermédiaires qui absorbent aujourd’hui une partie des bénéfices.

L’expédition hollandaise pour le Japon part ordinairement de Batavia vers le 1er juillet. La traversée varie de 20 à 30 jours. Arrivé en vue des côtes du Japon, on arbore au grand mât un pavillon de reconnaissance particulier, et chaque fois différent, que les Japonais remettent tous les ans pour le voyage suivant. C’est une mesure de précaution depuis la surprise du Phaéton. Entré dans la baie de Nagasaki, le navire, après les formalités d’usage, est remorqué par 100 ou 150 petites barques, qui le conduisent majestueusement devant la ville. Ce spectacle a quelque chose d’imposant. L’artillerie tire de tous bords et salue en passant les forts du rivage ; le bruit du canon mille fois répété dans les montagnes qui bordent la baie, la magnificence et la richesse du tableau qu’on a sous les yeux, l’étrangeté des costumes, le chant cadencé des rameurs, le mouvement et l’animation qu’on remarque de tous les côtés, enfin l’impression qu’on ressent en entrant dans ce pays mystérieux, tout contribue à exalter l’imagination.

La ville de Nagasaki, entourée de sa ceinture de temples et de verdure, s’élève en amphithéâtre dans le fond[2]. La factorerie de Décima est à ses pieds ; cette petite île, faite de main d’homme, a la forme d’un éventail tronqué. Elle possède seize magasins grands et petits, huit maisons d’habitation, un jardin potager, un local isolé pour la conservation des archives, une salle de billard et un petit enclos portant le nom pompeux de Jardin des plantes. Puis viennent les bureaux de toute l’administration japonaise et des commis de la chambre du trésor.

D’après un règlement fort ancien, le navire doit tous les ans

  1. Depuis que les Chinois apportent au Japon les cotons dont parle M. Biddle, les prix l’ont subi une forte diminution.
  2. Nagasaki est une ville de 60 à 70,000 habitans.