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infaillible. Cependant le Phaéton, voyant ce mouvement dans le port, ne jugea pas prudent d’attendre, il leva l’ancre et partit ; les Hollandais rentrèrent à Décima.

Une demi-heure après, entouré de tous ses parens et de ses amis, le gouverneur de Nagasaki se donnait la mort en s’ouvrant le ventre ; coupable déjà pour avoir ignoré la situation des forts, il voyait sa faute s’aggraver par le départ du Phaéton, qu’il n’avait pas su retenir ; les cinq commandans des forts suivirent aussitôt ce terrible exemple, assumant ainsi la responsabilité de leur négligence, et sauvant l’honneur du prince de Fisen, leur chef militaire, qui était pour le moment de service à Yédo. Celui-ci fut condamné à cent jours d’emprisonnement et à faire, sur sa demande il est vrai, une rente perpétuelle de plus de 50,000 fr. par an au fils de l’infortuné gouverneur. On comprend la profonde impression que cet événement produisit sur les Japonais. Ce drame n’est pas oublié encore ; l’arrivée d’un navire étranger ranime de cruels souvenirs, des défiances excessives, et éveille soudain une incroyable agitation.

De son côté, la Russie avait fait en 1792 une tentative pour conclure un traité de commerce avec le Japon. M. Laxman, qui en fut chargé, échoua complètement. On attribua l’insuccès à sa maladresse, et une nouvelle expédition fut projetée en 1803. Elle fut entourée d’un appareil plus imposant, et l’on choisit pour ambassadeur M. de Resanof, chambellan de l’empereur de Russie, décoré extraordinairement pour cette occasion des ordres les plus éclatans. Pourvu de pouvoirs fort étendus et de présens magnifiques, il arriva le 9 octobre 1804 dans la baie de Nagasaki, avec le navire Nadeschda, capitaine Krusenstern.

Une commission composée de très hauts personnages japonais vint à bord pour recevoir le message de l’ambassadeur. M. de Resanof la reçut d’une façon peu convenable ; il resta assis devant elle et refusa de se lever en disant que son rang et la grandeur de sa mission impériale l’en dispensaient. On lui fit observer que la commission représentait aussi en ce moment l’empereur du Japon ; mais il conserva son attitude hautaine, et se borna à déclarer qu’il voulait remettre à l’empereur en personne les lettres de son maître.

Sur la demande du capitaine Krusenstern, le navire fut autorisé à pénétrer plus avant dans la baie, à la condition de déposer ses canons et ses munitions de guerre. L’ambassadeur russe ne consentit pas à remettre ses armes particulières, ni celles de quelques hommes qui formaient autour de lui un simulacre de garde d’honneur. Comme il manifesta le désir de séjourner à terre, M. Doeff, chef de la factorerie hollandaise, proposa de lui préparer un logement convenable à Décima ; mais les Japonais voulurent se charger