Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/632

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la factorerie hollandaise ; la vigie d’Iwoosima signala un navire étranger : il portait pavillon hollandais, on le prit pour le vaisseau attendu, et deux commis de la factorerie, accompagnés de la commission japonaise, se rendirent à bord. Un canot vint au-devant d’eux avec des démonstrations amicales ; mais, quand ils l’eurent accosté, ceux qui le montaient saisirent des armes cachées, se jetèrent sur les commis et les emmenèrent prisonniers. La consternation fut grande à Nagasaki et dans la factorerie. Le gouverneur envoya immédiatement à bord deux baniôsts[1] avec ordre de ne se représenter qu’avec les deux Hollandais. Leur démarche fut inutile. Les chaloupes armées menaçaient la baie. Les agens de la factorerie reçurent l’ordre de se réfugier avec ce qu’ils avaient de plus précieux dans l’hôtel du gouvernement.

Le gouverneur voulut prendre immédiatement des mesures énergiques, mais par malheur les forts impériaux, dont la garnison doit être au moins de mille hommes, n’en comptaient que soixante-dix à ce moment, et les commandans eux-mêmes étaient absens. Dans la nuit du 4 au 5 octobre, le secrétaire du gouverneur vint trouver M. Doeff, chef de la factorerie : « J’ai reçu, lui dit-il, l’ordre d’aller chercher les prisonniers, et je m’y rends seul ; si le commandant refuse, je lui plongerai mon poignard dans le cœur. Venu sous le pavillon hollandais dans une intention hostile, il ne mérite pas mieux. » On eut grand’ peine à le détourner de ce projet. Le gouverneur comprit qu’il fallait tâcher de retenir le navire jusqu’au moment où les princes voisins auraient réuni leurs forces. Le lendemain la frégate, arborant le pavillon d’Angleterre, envoya à terre un des Hollandais avec une lettre où il était dit que, si avant la nuit on n’avait pas reçu à bord des provisions dont le détail était indiqué, le feu serait ouvert sur le port et toutes les barques qu’il contenait incendiées. Le message était signé : Fleetwood Pellew, commandant la frégate de sa majesté britannique le Phaéton.

Le gouverneur feignit de céder, accorda les provisions demandées, en promit pour le lendemain de plus abondantes ; il fit même entrevoir que le gouvernement japonais serait disposé à ouvrir avec l’Angleterre des relations que la guerre empêchait en ce moment la Hollande de poursuivre. Cependant le prince d’Omura arrivait avec ses troupes ; pour juger de l’énergie qu’il était prêt à déployer, il suffit de dire qu’il proposait d’incendier le navire avec trois cents barques chargées de matières combustibles et de se placer lui-même sur la première, estimant que l’artillerie ennemie en coulerait bien deux cents, mais que le reste arrivant sur le vaisseau rendrait le succès

  1. Mandarins japonais, grands officiers civils et militaires dont le pouvoir est très respecté.