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de Taïko-Sama. En mourant, cet empereur laissa un fils fort jeune encore, nommé Fidéri-Jori, dont la tutelle fut confiée à Ogonschio-Sama[1]. Celui-ci, pour conserver à sa postérité le pouvoir qu’il n’avait reçu que temporairement, profita des troubles religieux pour faire assassiner le jeune prince, renfermé dans le château d’Osaka ; Fidéri-Jori aurait échappé à la mort et se serait réfugié dans la principauté de Satsuma, où il aurait fondé cette famille. Tous les seigneurs de l’empire sont entourés dans leurs provinces d’une multitude d’espions et d’agens secrets déguisés sous toutes les formes, et qui tiennent l’empereur au courant de tout ce qui se passe. Les Satsuma n’en tolèrent jamais chez eux ; ils font inexorablement disparaître tous ceux qu’on leur envoie, et cette triste mission, qui équivaut presque à un arrêt de mort, est donnée quelquefois aux personnages dont la cour veut se de faire sans bruit.

La factorerie, privée de son chef par la mort de M. Hemmy, tomba entre les mains de subalternes qui la dirigèrent fort mal. M. Henry Doeff, jeune encore, mais plein de zèle, d’intelligence et de patriotisme, en prit la direction en 1803. La guerre générale venait d’éclater, et Java tombait au pouvoir des Anglais. Le nouveau gouverneur-général des Indes, Raffles, porta immédiatement ses vues sur la factorerie du Japon, qu’il voulait obtenir à tout prix ; mais M. Doeff resta inébranlable à son poste. Les ordres, les menaces, les offres les plus flatteuses, les insinuations les plus adroites, les nouvelles les plus trompeuses sur l’état de l’Europe, rien ne put décider le jeune opperhoofd à arborer dans sa petite île de Décima le pavillon d’Angleterre à la place de celui de Hollande. Livré pendant quatorze ans aux seules ressources de son bon sens et de sa fermeté, privé quelquefois d’arrivages pendant plusieurs années de suite, sans conseils, sans argent et souvent sans espoir, M. Doeff sut conserver sur ce petit point du globe les privilèges de son pays. Le commerce du Japon fut irrégulièrement entretenu par des navires neutres, mais toujours sous pavillon hollandais et au nom de la compagnie des Indes, qui n’existait plus. Ce n’est qu’en lisant la relation de ces temps difficiles, écrite par M. Doeff lui-même, qu’on peut comprendre tout ce qu’il dut employer de prudence et d’adresse pour conserver son in fluence, contenir certains interprètes gagnés aux Anglais et entretenir l’illusion des Japonais.

En 1808, l’Angleterre commit envers le Japon un acte d’agression inqualifiable[2]. Le 4 octobre de cette année, on attendait le navire

  1. Ogonschio-Sama, autrement appelé Daïffou-Sama, ou bien encore Mina-Moto-Yeyas, est l’empereur qui délivra en 1611 la charte aux Hollandais.
  2. Un journal faisait récemment allusion à cette affaire, qui a été présentée comme un échange amical de relations entre deux nations alliées ; le récit qu’on va lire montrera ce qu’il faut en penser.