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tions de l’Italie ont été quelquefois un changement de dépendance. La lutte que Sienne soutint durant quatre ans contre la puissance de Charles-Quint est le sujet de l’histoire de Sozzini, témoin oculaire de ce qu’il raconte. Les faits sont narrés jour par jour avec simplicité et naturel, comme le dit l’éditeur, M. G. Milanesi ; je n’ajouterai point après lui à ces deux substantifs l’épithète admirable. Le récit de Sozzini, toujours clair et précis, n’a ni mouvement ni vivacité. L’absence de ces qualités se fait bien sentir quand on compare ce diario avec les Mémoires de Blaise de Montluc, qui raconte aussi le siége de Sienne par les Espagnols et la défense opiniâtre des Siennois qu’il trouva découragés, prêts à se rendre, et auxquels il communiqua sa bouillante et indomptable énergie. Rien n’est plus animé que ces commentaires adressés aux capitaines ses compagnons par l’auteur ; je demande pardon à Montluc de lui donner ce nom, car celui qui l’aurait appelé auteur, il l’eût certainement tué. Montluc s’y montre brave comme un Français et vantard comme un Gascon qu’il est. Il veut, par exemple, faire croire qu’il se porte bien, et voici comme il s’y prend. « Voyant le regret que le peuple avait de me voir ainsi malade, je me fis bailler des chausses de velours cramoisi, couvertes de passemens d’or fort développés et bien faites, car au temps que je les avais fait faire j’étais amoureux ; nous étions lors de loisir en notre garnison, et n’ayant rien à faire, il le faut donner aux dames… En ce temps-là, je portais gris et blanc pour l’amour d’une dame de qui j’étais serviteur lorsque j’avais le loisir. Or avais-je encore deux petits flacons de vin grec. Je m’en frottai un peu les mains, puis m’en lavai fort le visage, jusqu’à ce qu’il eût pris un peu de couleur rouge, en beus, prenant un petit morceau de pain, trois doigts, puis me regardai au miroir. Je vous jure que je ne me reconnaissais pas moi-même, et me semblait que j’étais encore en Piémont, amoureux comme j’avais été. »

Montluc se fait un peu valoir peut-être, mais évidemment Sozzini le met beaucoup trop dans l’ombre ; à peine s’il le mentionne de loin en loin pour quelques faits souvent insignifians, et cependant Montluc fut l’âme de la défense de Sienne. Il méritait plus de reconnaissance ou au moins plus d’équité de la part de l’historien italien, ce Montluc qui célèbre la belle résolution que ce peuple fit de défendre sa liberté, et raconte avec un enthousiasme tout chevaleresque le courage des dames de la ville, s’écriant : « Il ne sera jamais dit, dames siennoises, que je n’immortalise votre nom, tant que le livre de Montluc vivra, car en vérité vous êtes dignes d’immortelles louanges si jamais femmes le furent. Toutes les dames de la ville se départirent en trois bandes. La première était conduite par la signera For-