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MAURICE DE TREUIL.

quelque sorte inspirée par le cœur, avait reproduit avec une poétique exactitude l’aspect souriant de ce petit cottage où pendant six mois ils avaient partagé le même pain et dormi sous le même toit. Maurice, en signant ce petit tableau, avait la conscience que c’était l’un des meilleurs qu’il eût jamais faits. Il était fier et charmé de l’offrir à un homme qui pouvait en apprécier la valeur, qu’il aimait et qu’il estimait. Toute cette joie était perdue. Au lieu de la revoir dans une maison amie, — cette chaumière, accrochée dans quelque boudoir entre deux méchantes aquarelles, resterait tristement exposée aux regards de quelques sots qui n’y verraient que les arbres et les canards de M"’" Sorbier. Ce qui augmentait encore l’irritation de Maurice, c’était le peu de sympathie qu’il éprouvait pour M" de Vitteaux. Ainsi qu’on l’a pu voir, Maurice et sa femme avaient rencontré M™^ de Vitteaux à Pise, voyageant en compagnie de quatre ou cinq personnes, parmi lesquelles on finissait par découvrir son mari. Le mari était un de ces riches capitalistes dont l’esprit semble toujours noyé sous des entassemens de chiffres qu’ils remuent sans cesse en esprit pour les besoins de leurs spéculations ; il avait quelque temps, et à la suite de sa femme, traversé l’Italie, et couru de Gênes à Venise, en passant par Naples et Rome, où il avait admiré les palais et les musées au point de vue du bénéfice qu’on pourrait en retirer si on les mettait en actions. A Venise, on avait perdu ses traces ; un chemin de fer l’avait emporté du côté de Vienne, où certaines mines exigeaient sa présence, et M’" de Vitteaux était revenue en France sous l’escorte d’un parent qui avait sur le nez un lorgnon d’écaillé à deux branches et à la main un jonc à pomme d’or constellée de turquoises. Pendant leur séjour à Pise, la fortune bien connue de M. Sorbier avait attiré M. de Vitteaux, en même temps que le nom de Maurice avait inspiré à l’esprit oisif et frivole de M"’"^ de Vitteaux la pensée de connaître un artiste. Le hasard avait voulu que les deux familles descendissent dans le même hôtel. La connaissance n’avait pas tardé à se faire, et une sorte d’intimité en avait été la conséquence. Dès les premiers jours, Maurice avait deviné ce caractère tourné vers les choses mondaines et futiles, gratté cette surface polie et brillante sous laquelle il n’y avait rien. Ce ramage de linotte gazouillant sur un pommier et répétant toujours la même chanson, cette gaieté factice mêlée de fausses mélancolies, cette activité d’écureuil tournant au grand galop dans une boîte, cette inquiétude sans cesse renaissante qui donnait à sa vie l’apparence d’un carnaval, dont les bals, les concerts, les visites et les bavardages prenaient la meilleure part, cet amour fou du parlage qui la poussait à se jeter avec furie au travers de toutes les conversations, si giaves qu’elles fussent, et pour le plaisir seulement de les embrouiller,