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chez une personne que j’avais laissée rue de Verneuil : elle demeure à présent au Père-Lachaise. J’en suis encore tout aliurie. Une blonde gaie comme une chanson ! C’est effrayant comme on meurt... Il paraît que c’est à cause d’une maladie que les médecins ont découverte depuis peu. Irez-vous beaucoup au bal cet hiver ?

— Oh ! oui, beaucoup ! répondit Sophie, qui saisit une pause d’une seconde pour glisser un mot.

— Moi, je verrai ;... je n’ai de plaisir à rien. Si je m’écoutais, je me ferais sauvage ; mais il faut bien s’habiller pour les autres. Que deviendraient ces pauvres faiseuses de modes, si on n’avait pitié d’elles ? La mienne m’a fait dix robes de ville, dix merveilles : je vous les montrerai. Oh ! elles sont toutes simples : moire, velours et drogaet avec un peu de dentelles partout. Elles ont fait sensation aux Champs-Elysées. La duchesse de Brécourt veut les pareilles, elle en raffole... La connaissez-vous, cette chère duchesse ?

— Non, mais une de mes amies est fort liée avec elle, répondit avec assurance M"* Sorbier, qui n’avait jamais entendu prononcer son nom.

— Elle est charmante : des yeux superbes et de l’esprit comme un ange. Sa maison est une des plus agréables de Paris. Je vous y présenterai, si vous voulez.

— Comment donc ! mais ce sera avec un très grand plaisir.

— Nous ne voudrions pas cependant abuser de votre complaisance, reprit Sophie, dont le jeune cœur s’épanouissait à la pensée d’aller chez une duchesse.

— Abuser ! mais, ma chère, la duchesse et moi ne faisons qu’un. Il est singulier que vous ne nous ayez pas rencontrées ensemble au bal de l’ambassade d’Angleterre. Elle ne m’a pas quittée, et parce que j’avais un peu mal au pied, elle n’a pas dansé... Ah ! que de fatigues ! Toujours des bals, rien que des bals ! Si on n’avait pas le boiSf on serait morte... Montez-vous à cheval quelquefois ?

— Rarement, répondit Sophie, qui n’y montait jamais.

— Nous ferons quelques courses ensemble. Le vicomte de Blangy est mon écuyer ; je vous le prêterai. Seulement prenez garde. Il se moque du danger. J’avais d’abord des peurs horribles, mais on s’y habitue, et maintenant je saute une barrière comme un jockey. Il y a aussi le petit de Sireville qui est de nos parties, et puis M. de Marvejols.

— M. de Marvejols ! dit M’" Sorbier, à qui ce nom rappelait des souvenirs confus ; ne s’appelle-t-il pas Guillaume ?

— Oui, autrefois il portait ce nom, reprit M"’* de Vitteaux avec un sourire ; mais j’ai arrangé tout cela : de Guillaume j’ai fait William, c’est plus coquet. :