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sagement en restant dans le domaine qui lui était familier, en suivant la pente naturelle de son talent. Son imagination ne pouvait s’élever jusqu’à des créations originales, mais il concevait sans effort, à l’aide de sa mémoire, une figure élégante, un groupe gracieux, et sa main docile ne manquait ; jamais de traduire sa volonté. Sa part, quoique modeste au point de vue poétique, était encore assez belle au point de vue technique. L’imitation littérale de la nature, loin d’ajouter à la valeur de ses ouvrages, n’a fait qu’en déranger l’économie. S’il n’occupe pas le premier rang, ce n’est pas qu’il ait ignoré l’art de rendre ce qu’il voyait ; c’est pour avoir en cette occasion confondu le moyen avec le but.

Quant à Barye, l’école réaliste n’hésite pas à le dire sien : elle ne voit en lui qu’un imitateur fidèle et scrupuleux du modèle vivant ; elle lui pardonne d’avoir choisi pour thème de ses compositions des tigres et des lions, et paraît oublier qu’il ne traite pas la figure humaine avec moins d’habileté que les lions et les tigres. S’il fallait en croire les disciples de l’école réaliste, Barye n’aurait jamais rien inventé. Il répudierait avec une sage obstination tout ce qui ne relèverait pas directement de la mémoire. Tout son talent se réduirait à combiner avec adresse ce qu’il a vu ; il ne permettrait jamais à l’imagination d’intervenir dans ses travaux. Observateur attentif, armé d’un regard pénétrant, il étudierait la forme, le mouvement, les mœurs des animaux, et transcrirait ses souvenirs. La pensée ne jouerait aucun rôle dans les groupes signés de son nom, qui depuis vingt-cinq ans excitent l’étonnement et l’admiration. Cette opinion est tellement accréditée, qu’on aura bien de la peine à la ruiner. Barye est proclamé réaliste, ennemi déterminé de l’idéal, et l’on cherche dans ses œuvres un argument victorieux contre les doctrines de l’antiquité. Il voit bien et copie bien, c’est la tout son mérite, et le succès qu’il a obtenu prouve clairement que la sculpture a longtemps fait fausse route. Or, malgré les affirmations de l’école réaliste, Barye n’a pas aujourd’hui l’autorité qu’il devrait avoir. En second lieu, son talent ne se réduit pas à l’imitation du modèle. Il y a parmi nous des sculpteurs qui ne manquent pas d’adresse, qui connaissent la forme et le mouvement des animaux, qui les reproduisent assez fidèlement, et qui cependant ne réussissent pas à nous intéresser. Leur dextérité ne peut être contestée : à quoi donc faut-il attribuer la froideur de l’accueil fait à leurs ouvrages ? Ne cherchons pas bien loin la raison de leur déconvenue. Malgré la pénétration de leur regard, malgré la docilité de leur main, tant qu’ils s’en tiendront à leurs souvenirs, ils trouveront la foule indifférente. Ils auront beau mesurer l’espace compris entre l’épaule et la hanche du lion, imiter avec un soin scrupuleux les poils de la crinière, observer