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la manière dont il a traité les extrémités, la langueur qu’il a donnée aux membres, s’accordent trop bien avec les bas-reliefs de la fontaine des Innocens pour ne pas appartenir à une doctrine préconçue. Toutes les œuvres de Jean Goujon portent le même caractère. Il a cherché constamment l’expression de l’élégance, et, pour atteindre le but qu’il s’était proposé, il n’a reculé devant aucun sacrifice, devant aucune exagération conciliable avec les lois du goût. La longueur des membres, la longueur des phalanges, sont une tricherie bien évidente ; mais le goût s’accommode de cette tricherie, et l’auteur de la Diane a très sagement fait de ne pas s’en tenir au modèle qui posait devant lui, puisque ce mensonge a donné à la figure plus de grâce et d’élégance. La forme de la poitrine est simplifiée, et le sacrifice auquel l’auteur s’est résolu n’excite aucun regret, car les détails omis troubleraient la pureté des contours. Ainsi, théoriquement parlant, le talent de Jean Goujon repose sur l’exagération et le sacrifice, c’est-à-dire sur la libre interprétation du modèle vivant.

Le Milon, dont le style n’a rien à démêler avec le style de la Diane, n’est pas plus réel que l’œuvre de Jean Goujon. Pierre Puget avait voyagé en Italie, et Gênes possède plusieurs figures de sa main. Il connaissait l’antiquité, et n’ignorait pas à quelles conditions le ciseau grec avait exprimé la beauté. Aussi, quand il entreprit son Milon, il se garda bien d’engager avec la nature une lutte inégale. Sûr d’être vaincu, il n’essaya pas de reproduire ce qu’il avait sous les yeux. Le torse de l’athlète qui excite chez tous les connaisseurs une si légitime admiration ne révèle pas seulement un œil exercé, une main habile, mais une intelligence habituée à simplifier ses souvenirs quand il s’agit de les traduire. La manière dont la poitrine est comprise prouve surabondamment que Puget ne s’en tenait pas à ce qu’il voyait. Les portefaix de Marseille lui offraient des types de force qu’il aurait pu copier, et l’imitation fidèle de ces modèles n’eût pas manqué d’étonner ses contemporains ; mais il visait plus haut que l’imitation, et la postérité lui a donné raison. Il n’y a pas dans le Milon une seule partie qui ne relève de la pensée. La grandeur du torse et des membres est obtenue par la simplification, c’est-à-dire par le sacrifice des détails inutiles ou mesquins, par l’exagération des signes qui caractérisent la force. En un mot Puget, que je suis très loin de placer sur la même ligne que Jean Goujon, qui ne possédait ni la même souplesse de talent, ni la même finesse de goût, comprenait avec une égale pénétration les nécessités de son art, et ne bornait pas sa tâche à la reproduction du modèle. Il regardait, il se souvenait, et ne copiait pas. Aussi son Milon est traité avec une puissance que la sculpture n’atteindra