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L’HISTOIRE ET LES HISTORIENS DE L’ITALIE.

gnifique porta le tour ingénieux de son esprit dans l’asservissement de sa patrie.

Du reste il apportait à cette œuvre l’hypocrite modération d’Auguste. « S’étant donc, dit très bien notre auteur, rendu maître de l’essence du gouvernement, Laurent en laissait complètement aux magistrats l’apparence, voilant, sous l’habit modeste du citoyen, l’autorité suprême du prince. » Voilà le vrai de ce pouvoir de Laurent, si vanté parce qu’on l’aperçoit toujours à travers l’éclat des arts et des lettres, éclat qu’il ne créa point, mais dont il sut habilement se faire une auréole qui éblouit encore les yeux de la postérité. Cependant les Florentins ne vont pas tarder d’expier l’usurpation, par eux permise, de leur liberté. Au tyran spirituel et gracieux va succéder le tyran incapable, au premier Laurent le second Pierre.

Bientôt il est chassé avec ses deux frères ; mais presqu’au moment où Florence a recouvré sa liberté, l’étranger entre dans ses murs. Les grands sentimens que la liberté inspire y reparaissent, et la présence de Charles VIII ne les étouffe pas. C’est alors que fut prononcée la fière parole de Pierre Capponi, disant au roi de France : « Faites sonner vos trompettes, nous sonnerons nos cloches. » C’est alors que retentit la voix de Savonarole, de ce dominicain tribun, prophète et martyr. En même temps les divisions que la liberté amène toujours, et par lesquelles elle périt trop souvent, préparaient sa ruine à Florence. L’influence de l’étranger, du roi de France et du duc de Milan, y introduisait le venin fatal qu’une pareille influence communique toujours aux plaies d’un état, et qui devait rendre celles-ci mortelles.

La scène s’assombrit. Cinq Florentins qui ont conjuré pour ramener Pierre de Médicis sont décapités. François Valori, qui a demandé leur mort, comme Caton demandait celle des complices de Catilina, est massacré dans la rue par les parens des condamnés ; Savonarole est brûlé, et ses cendres sont jetées dans l’Arno. On se partage entre Charles VIII et Louis le More, et les machinations étrangères vont toujours troublant davantage la république. César Borgia vient en aide à la cause des Médicis. Ce triste état de Florence déchirée et menacée est peint de main de maître par Jacques Pitti.

Les Médicis sont ramenés à Florence par une conspiration qui s’appuyait sur l’étranger[1]. Bientôt une autre conspiration se forme contre eux. Machiavel, qui y était entré, en fut quitte pour la torture ; mais deux des conjurés, Bernard Capponi et Pagolo Boscoli, y

  1. Sur les Espagnols, qui venaient d’exercer dans le sac de Prato des cruautés dont rendent compte des récits que les Archives italiennes ont publiés.