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ratifie pleinement cette première impression. La Cérès, la Proserpine et les Parques, vêtues de lin, laissent deviner toute l’élégance, toute la pureté de leurs formes aussi clairement que si elles étaient nues, et la souplesse de la draperie ajoute encore à la beauté des contours qu’elle enveloppe. La Proserpine, appuyée sur les genoux de sa mère, est peut-être la plus belle des cinq figures dont je parle. Toutes les inflexions du corps sont écrites avec une précision qui étonne et ravit le regard. Cependant la Cérès et les Parques ne sont pas traitées avec moins d’habileté ; mais le mouvement de ces figures, qui s’accorde d’ailleurs avec leur caractère, n’offrait pas au statuaire l’occasion de se révéler sous un aspect aussi séduisant. L’attitude des Parques, majestueuse et grave, éveille l’idée de l’immuable destin. Cérés, qui soutient sa fille, nous offre le type de la dignité maternelle. Ce qui me frappe dans ces figures, ce n’est pas seulement l’élégance et la pureté, c’est encore l’expression de la force. Phidias, on le voit, ne séparait pas la beauté de la santé. Largeur des hanches, largeur de la poitrine, il n’oublie aucun des signes de la force ; mais l’ampleur de la forme se concilie toujours avec la souplesse des contours. C’est la beauté dans toute la richesse de son épanouissement. C’est pourquoi les fragmens du Parthénon, et surtout les frontons, doivent être consultés assidûment par tous les statuaires qui veulent connaître jusqu’où peut aller l’habileté du ciseau dirigé par une imagination poétique. Le modèle vivant justifie toutes les parties de ces admirables figures, mais il les justifie sans les égaler. Pour Phidias, l’imitation n’était qu’un moyen, jamais un but. Il demandait à la nature les termes dont il se servait pour l’expression de sa pensée, et sa main ne prenait le ciseau qu’à l’heure où la méditation avait agrandi ses souvenirs.

En essayant de caractériser les ouvrages les plus célèbres de la statuaire antique et de marquer le rang qui leur appartient, je suis arrivé à cette conclusion, que dans l’art la beauté suprême se compose à la fois d’imitation et d’invention. De quelque manière qu’on envisage les débris précieux qui décorent les musées de Florence et de Rome, de Londres et de Paris, il n’y a pas moyen de contester la légitimité de cette pensée. Cependant aujourd’hui la plupart des sculpteurs français s’en tiennent à l’imitation : c’est ce qu’ils appel lent ramener l’art aux lois du bon sens. Au-delà du modèle vivant, ils n’aperçoivent rien, et quand on leur parle de l’intervention de la pensée, ils accueillent volontiers ce conseil par le dédain ou la moquerie. À les entendre, ceux qui rêvent une beauté supérieure à la beauté réelle sont des esprits malades. Quand on cherche l’idéal, on s’éloigne de la vérité. Tout le temps qui n’est pas donné à l’imitation