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créée par le ciseau grec. Toutes les richesses que nous offre le modèle vivant, nous les retrouvons dans le marbre, et l’œuvre du statuaire est supérieure aux femmes les plus belles. À côté de la Vénus de Milo, la Vénus de Médicis et la Vénus du Capitole ne sont plus que des figures d’un mérite secondaire. Ici l’élégance n’a rien à démêler avec la coquetterie, la vérité n’a rien de prosaïque. L’imagination la plus inventive ne rêve rien au-delà ; toutes les parties de ce corps divin expriment la volupté et donnent l’idée d’une joie infinie. Le sourire de la déesse révèle tout à la fois la conscience et l’orgueil de la beauté. Nous avons devant nous la Vénus chantée par Homère. Cependant cet admirable ouvrage n’a pas encore conquis l’autorité qu’il devrait avoir. Ceux qui vantent la Vénus de Médicis, et le nombre en est grand, reprochent à la Vénus de Milo une trop grande réalité. Ils vont même jusqu’à dire qu’elle manque de noblesse. Ne pouvant contester sa beauté, ils ne lui accordent qu’une beauté bourgeoise. Quant aux admirateurs de la Vénus du Capitole, ils parlent sur un autre ton. Pour eux, la Vénus de Milo n’est pas assez réelle ; elle ne rappelle pas assez clairement le modèle vivant. Ces deux reproches contradictoires sont également dépourvus de fondement. Le modèle vivant agrandi par la pensée doit déplaire aux intelligences prosaïques. Quant à ceux qui ne comprennent pas l’élégance sans un peu d’afféterie, comment approuveraient-ils l’attitude de la Vénus de Milo, tout à la fois fière et naïve ? La noblesse telle qu’ils la conçoivent ne saurait se rencontrer dans une figure franchement voluptueuse. Chacune des trois statues dont je viens de parler exprime un aspect de l’art. Lequel de ces trois aspects mérite la préférence ? Je crois avoir établi la supériorité de la Vénus de Milo, et je ne crains pas d’ajouter que mon sentiment est partagé par tous ceux qui dans la conception de l’art ne séparent pas la vérité de l’idéal.

Cependant, malgré le mérite éclatant qui désigne à l’admiration de l’Europe la Vénus de Milo, ce n’est pas encore le plus bel ouvrage que la Grèce nous ait laissé. Les fragmens du Parthénon placés au Musée britannique sont l’enseignement le plus solide qui puisse être offert aux statuaires, et c’est en contemplant ces fragmens qu’on arrive à concevoir une idée juste et complète de l’art grec. Il y a quarante-six ans, quand le parlement anglais vota une somme de 750,000 francs pour l’achat de ces précieux débris, les archéologues agitèrent la question suivante : ces fragmens sont-ils égaux, inférieurs ou supérieurs aux plus beaux morceaux conservés dans les musées d’Europe ? La majorité se prononça pour l’égalité de mérite. Quelques voix signalèrent comme un défaut une trop grande réalité. Aujourd’hui nous avons peine à comprendre ces étranges réserves,