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S’ils manquent de pénétration, du moins ils ne manquent pas de franchise. Ils n’essaient pas de répéter sans le comprendre ce qu’ils ont entendu dire. Ils ont ce qu’on appelle le courage de leur opinion. Pour eux, le torse qui pivote dans une salle du musée n’a guère plus de prix qu’un tesson. Ils se demandent de très bonne foi pourquoi les curieux s’arrêtent autour de ce corps sans tête et sans bras. Pour peu qu’on les presse de laisser voir le fond de leur pensée, ils avoueront que ce bloc est à leurs yeux un prétexte imaginé par les mauvais plaisans pour abuser les âmes crédules, car c’est ainsi que les esprits sans pénétration cherchent à justifier leur indifférence devant une œuvre de premier ordre. Ils n’admirent pas ce qu’ils voient admirer, et au lieu de reconnaître qu’il leur manque une faculté, ils supposent une conspiration organisée contre les simples. Ils mettent en doute la sincérité de ceux qui vantent les mérites d’un ouvrage dépourvu à leurs yeux de toute valeur, et grâce à cette ingénieuse protestation, ils arrivent à se ranger parmi les esprits forts, ils se frottent les mains et se disent avec orgueil : Il Ce n’est pas moi qu’on attrapera. » En présence du Jugement dernier de la chapelle Sixtine, ils déclarent d’un ton héroïque, en appuyant sur chacune de leurs paroles, qu’ils ne veulent pas grossir la foule des badauds qui admirent sans savoir pourquoi, ou des maniérés qui cherchent à justifier leur admiration par des argumens inintelligibles. Le plus sage serait de confesser leur impuissance, ou de tenter l’éducation de leur esprit ; mais pour prendre ce parti, il faut un peu de modestie, et dans le temps où nous vivons la modestie n’est pas à la mode. Il n’est pas hors de propos d’appeler l’attention sur le torse du Vatican : l’admiration d’un tel ouvrage équivaut à l’intelligence de la beauté pure.

Il y a dans les musées d’Europe trois statues de Vénus qui jouis sent d’une égale célébrité, mais qui sont loin de posséder un mérite égal : la Vénus de Médicis, la Vénus du Capitole, et la Vénus de Milo. L’étude de ces trois statues est une des plus intéressantes et des plus instructives que l’on puisse se proposer. D’après les traditions consacrées par l’enseignement académique, la plus belle des trois serait la Vénus de Médicis, placée dans la Tribune de Florence. C’est à coup sûr un ouvrage élégant et plein de finesse, conçu par un es prit délicat, exécuté par une main habile. Cependant, pour un œil exercé, il est évident que cette figure n’appartient pas à la meilleure époque de l’art antique. Il y a dans l’attitude presque autant de coquetterie que de vraie beauté. Les lignes sont heureuses, l’ensemble harmonieux. Les diverses parties du corps, traitées avec un soin jaloux, révèlent un ardent désir d’atteindre à la perfection. Et pourtant en présence de cette figure le spectateur n’éprouve pas