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si on les compare au torse mutilé de l’Hercule au repos. La tête et les bras sont à jamais perdus, deux tronçons de cuisses sont tout ce qui reste des membres inférieurs ; mais il y a dans ce que nous voyons tant de puissance et de souplesse, la poitrine respire si franchement et les divisions musculaires sont accusées avec tant de hardiesse et de simplicité, que le spectateur, dans son admiration, songe à peine à regretter la tête et les membres que le temps nous a ravis. Ce fragment n’appartient pas à une réplique, l’hésitation n’est pas permise. Il n’y a qu’un maître consommé qui ait pu douer le marbre d’une vie si merveilleuse. C’est de la chair, mais de la chair sans détails mesquins ; chaque fois qu’à l’aide des poignées on a fait tourner le bloc vivant, l’admiration devient plus vive, et jamais on ne parcourt la galerie du Vatican sans éprouver le besoin de revoir l’Hercule au repos. Dans l’opinion des statuaires qui ont étudié l’antiquité, c’est un ouvrage de premier ordre. Malheureusement le nombre de ceux qui l’ont étudié est tellement limité, que la valeur de ce précieux fragment n’est pas encore bien connue. Si XHercule au repos avait conquis le rang qui lui appartient, personne n’oserait plus soutenir que l’art antique dédaignait l’imitation du modèle vivant. Jamais la vérité n’a été poussée plus loin ; jamais le marbre n’a exprimé la vie avec plus d’évidence. Jamais en même temps les signes de la force n’ont été choisis avec plus de discernement et traduits avec plus de finesse. Un homme d’un esprit exercé qui n’aurait jamais vu que ce débris du passé saurait à quoi s’en tenir sur la portée de l’art antique. Cet unique fragment suffirait pour lui démontrer que dans cet art, si souvent méconnu, l’habileté de la main n’était qu’une moitié de la tâche imposée au statuaire, et que la pensée intervenait pour agrandir et simplifier le modèle. L’Apollon Pythien ne fournissait que des documens incomplets ; V Hercule au repos est la vérité même. Le voir, l’étudier, le contempler à loisir, c’est nouer des relations intimes avec le génie de l’antiquité. Il y a dans cet ouvrage tant de mérites et de mérites divers, qu’on ne se lasse pas de l’interroger du regard. La peau a tant de souplesse, qu’elle pourrait envelopper le corps d’un adolescent, et les signes de la force, les preuves d’une énergie surhumaine, sont si nombreux, que l’œil devine le héros. Pour les hommes du métier, c’est une leçon dont ils apprécient la portée à mesure qu’ils avancent en âge ; pour ceux qui se plaisent à méditer sur les œuvres du ciseau, c’est une révélation dont ils profitent quand ils veulent se former une idée générale de l’art antique.

En louant l’Hercule au repos, on n’a pas à craindre d’aller trop loin, car il n’est pas rare de rencontrer parmi les visiteurs du Vatican des esprits naïfs qui s’étonnent de la valeur attribuée à ce morceau.