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Mais l’auteur du Laocoon comprenait la nécessité d’agrandir, de simplifier ce qu’il voyait, et c’est en obéissant à cette nécessité qu’il a créé une figure dont toutes les parties expriment la puissance en même temps que la douleur.

Pourquoi les fils du prêtre de Neptune éveillent-ils en nous l’idée de la virilité plutôt que l’idée de la jeunesse ? Si l’artiste grec les eût conçus autrement, son œuvre à coup sûr présenterait plus de variété. Dans le récit de Virgile, ces deux personnages ne sont pas tels que nous les voyons. Pourquoi le statuaire s’est-il décidé à violer la tradition ? Ce n’est pas de sa part un pur caprice, comme pourraient le croire ceux qui ne sont pas familiarisés avec les, ouvrages de l’antiquité. Il a préféré la virilité à l’adolescence, parce que la première offre des contours plus précis que la seconde, et comme la précision des contours est un des élémens de la beauté, il a cru toucher plus sûrement le but de son art en donnant quelques années de plus aux fils de Laocoon. L’âge de ces deux figures une fois accepté, il se présente une question plus délicate, et dont la solution n’est pas aussi facile. Pourquoi leur attitude n’exprime-t-elle pas une douleur aussi vive que la douleur de leur père ? Leur visage révèle leurs angoisses, mais leur corps semble à peine sentir l’étreinte et la morsure des serpens. Ils se tournent vers leur père pour implorer son secours, le torse et les mains demeurent presque étrangers à la douleur qui se peint sur leur visage. Jusqu’à présent, je ne vois pas qu’on ait répondu à cette objection d’une manière satisfaisante. À parler franchement, ces deux figures encadrent le personnage principal et n’agissent que faiblement sur l’âme du spectateur. Le groupe ne serait ni moins beau ni moins harmonieux, si les deux fils du grand-prêtre trahissaient leurs tortures avec moins de réserve. Dans un sujet si pathétique, sans renoncer à l’élégance, le statuaire pouvait accuser plus vivement ce qu’il s’est contenté d’indiquer. Trop préoccupé de l’harmonie linéaire, il a négligé une partie de sa tâche. Les yeux n’ont rien à souhaiter, mais l’intelligence n’est pas satisfaite ; on admire l’habileté de la main, on n’est pas ému aussi profondément que le voudrait le sujet.

On voit au Vatican un fragment d’Hercule au repos placé sur un pivot garni de deux poignées, afin que les spectateurs puissent l’envisager librement sous tous ses aspects. Ce morceau jouit d’une estime si haute qu’on lui a réservé une salle à part. C’est ce précieux débris que Michel-Ange aimait à palper quand sa vue, affaiblie par le travail, ne lui permettait plus de le contempler. De tous les ouvrages réunis à Rome, c’est peut-être celui qui révèle de la manière la plus évidente la perfection de l’art antique. L’Apollon Pythien, le groupe du Laocoon, ne donnent à cet égard que des indications,