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et disciples s’entendaient à merveille ; l’Apollon était la loi vivante, et servait à résoudre les problèmes les plus délicats. Pour estimer la valeur d’un modèle, il suffisait de le comparer à l’Apollon. C’était une méthode infaillible. Si maintenant le doute ose s’attaquer à cet ouvrage réputé prodigieux, qui jusqu’ici avait défié tous les reproches, que deviendra l’enseignement, que deviendra le goût ? Les pures doctrines une fois entamées, qui peut prévoir le sort qui les attend ? Quel cœur ne serait attendri par ce cri d’alarme ?

Ceux qui gémissent et signalent les dangers de l’opinion nouvelle ont raison de gémir et de s’effrayer. Tout allait bien mieux en effet avant qu’on n’eût songé à discuter la forme et l’expression de l’Apollon Pythien. Depuis qu’on se permet de ne plus l’accepter comme le type absolu de la beauté virile, l’enseignement se complique et voit son autorité compromise. On veut maintenant que la valeur d’un modèle ne dépende pas de la ressemblance avec le marbre du Vatican. Si l’Apollon n’est pas un guide sûr et fidèle, quel guide choisir ? vers quel but diriger l’enseignement ? L’art moderne va marcher à l’aventure. Par quelle doctrine se laissera conduire la génération nouvelle ? Si j’essayais de répondre à toutes ces questions, je ne serais pas fort embarrassé ; mais j’aurais beau énoncer les vérités les plus évidentes, les admirateurs dévoués de l’Apollon Pythien ne voudraient pas être consolés. Aucune parole ne pourrait calmer leur frayeur. Autrefois, quand on demandait où se trouvaient résumés les principes de l’art antique, il suffisait de citer l’Apollon, et la curiosité la plus exigeante se trouvait satisfaite. Il s’agit mainte nant de choisir un type nouveau parmi les œuvres que la Grèce nous a laissées ; mais en est-il une seule qui se puisse comparer à l’Apollon pour la noblesse et la perfection ? Ce qu’Il y a surtout d’admirable dans cette statue sans pareille, c’est que la vie ne s’y révèle par aucun signe indiscret. Il n’y a pas un pli sur la peau du visage. Le torse et les membres se recommandent par une régularité qu’on chercherait vainement à retrouver dans la nature. Bon gré mal gré, il faudra pourtant bien que les admirateurs de l’Apollon se résignent à voir son autorité contestée. Ce qui leur plaît, ce qui les charme et les ravit, la discrétion dans l’expression de la vie, est précisément ce qui blesse les partisans de la beauté vraie. Ces esprits qu’on accuse un peu légèrement de vouloir tout remettre en question et bouleverser les idées reçues souhaiteraient dans un dieu victorieux une vigueur plus franchement révélée par la forme du torse et des membres. Et quoiqu’ils ne cherchent pas dans la statuaire l’image fidèle du modèle vivant, ils ne seraient pourtant pas fâchés de trouver autour d’eux quelque chose qui pût donner de la vraisemblance à l’œuvre placée devant leurs yeux. Un peu plus