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sont dépourvus de puissance. Les rhéteurs ont célébré cette statue en termes si pompeux, que le public s’est habitué à croire qu’elle résume tous les mérites de l’art grec. — Aimer l’Apollon Pythien, l’admirer sans réserve, sans restriction, c’est faire preuve d’un goût pur. Dire qu’il n’est pas sans défaut, qu’il laisse quelque chose à désirer, c’est donner de soi une opinion fâcheuse, autoriser les conjectures les plus compromettantes sur les principes que l’on professe. — Néanmoins, malgré le danger que je signale, quelques esprits aventureux se permettent de penser que l’Apollon Pythien est timidement conçu, timidement exécuté. Pour eux, cet ouvrage si vanté se recommande par la correction plutôt que par l’invention. La noblesse même de la tête, qui d’abord charme le regard, n’est peut-être pas celle qui convient au dieu vainqueur. Le visage exprime le contentement de soi-même et n’a rien de surhumain. Les plans musculaires de la poitrine, symétriquement divisés, révèlent chez le statuaire une connaissance parfaite de l’anatomie, mais ne prouvent pas qu’il soit familiarisé avec les signes de la force. Or l’Apollon Pythien doit exprimer la force en même temps que la fierté. L’auteur n’a compris ou du moins n’a voulu accomplir que la moitié de sa tâche. Les membres sont ceux d’un adolescent qui a préféré le soin de sa personne à l’épreuve du danger. À parler franchement, l’Apollon du Vatican est plutôt un dieu dameret qu’un dieu victorieux. Pour accepter le caractère de cette statue et ne pas réclamer contre l’expression incomplète de la virilité, il faut ignorer la biographie du personnage.

L’éloquence des rhéteurs, si toutefois les rhéteurs ont jamais connu l’éloquence, les paroles ordonnées d’une manière musicale peuvent séduire la foule inattentive, mais ne réussiront jamais à tromper ceux qui veulent savoir la raison des choses. Or la question se réduit à ces termes : l’Apollon Pythien du Vatican s’accorde-t-il avec la tradition mythologique ? Le spectateur placé devant cette statue conçoit-il l’idée d’un dieu victorieux ? J’avouerai sans détour qu’elle n’éveille en moi aucune idée de cette nature. Que la question ainsi posée semble inopportune ou oiseuse, je le comprends sans peine. Il y a dans les écoles comme dans les salons un certain nombre d’opinions auxquelles il n’est pas permis à) toucher, et la beauté absolue de l’Apollon Pythien est au nombre de ces opinions. Demander si la statue du Vatican exprime ce qu’elle devrait exprimer est une exigence de mauvais goût, presque une preuve de mauvaise éducation. Pourquoi déranger les idées dont le monde s’accommode depuis longtemps ? L’Apollon Pythien une fois admis comme le type suprême de la beauté virile, tout allait si bien ! L’enseignement était simplifié et n’effrayait plus personne, maîtres