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les contrôler. La possession d’une vérité déjà possédée par plus d’un n’est pas un sujet d’orgueil.

La question qui s’agite dans les arts du dessin se réduit à des termes très simples. Il s’agit de savoir si l’on doit proscrire l’imitation du modèle vivant au nom de l’art grec, ou proscrire l’art grec pour s’en tenir à l’imitation de la nature. La question ainsi posée n’est pas difficile à saisir, et cependant, malgré son extrême simplicité, elle n’est pas encore résolue. En interrogeant l’histoire, il est facile de découvrir pourquoi elle défie la sagacité des argumentateurs les plus habiles. C’est qu’Il y a dans l’énoncé de cette question une double erreur. L’art grec ne s’oppose pas à l’imitation du modèle vivant. Il n’y a donc pas de choix absolu à proposer entre l’art grec et l’étude de la nature. D’autre part, l’imitation du modèle vivant ne contredit pas l’art grec, et la contemplation assidue de la nature ne mène pas au dédain de l’art grec. Il semble qu’il suffise d’exprimer cette double affirmation, et que tous les esprits doivent l’accepter sans répugnance. Cependant l’apparence déçoit. Écoutez les partisans de l’imitation : ils ne voient dans l’art grec qu’un danger, un fléau, la négation de toute vérité. Il est vrai qu’ils ignorent la Grèce. Écoutez les partisans des doctrines académiques : ils ne voient dans l’imitation du modèle vivant qu’une source de vulgarité. Il est vrai qu’ils ne savent ni le regarder ni le comprendre.

Parmi les œuvres dont l’autorité, longtemps exagérée, commence à déchoir, une des plus importantes, l’Apollon Pythien du Vatican, vulgairement appelé Apollon du Belvédère, a contribué puissamment à égarer l’opinion sur le vrai caractère de la sculpture grecque et sur les doctrines qui la dominent. Que l’Apollon Pythien soit très digne d’étude, aucun homme éclairé ne songe à le contester ; mais voir dans cette statue l’expression la plus complète de la beauté virile telle que la comprenait l’art antique, c’est une erreur dont la discussion a déjà fait justice. Il y a tout lieu de penser que le marbre placé dans la galerie du Vatican n’est pas un ouvrage original, mais une réplique. À l’appui de cet avis, on ne peut produire aucun document historique ; cependant les sculpteurs et les archéologues trouvent dans la minceur de la chlamyde une raison suffisante pour croire que l’original devait être fait de bronze et que le marbre est une copie. Quelle que soit la valeur de cette conjecture, original ou réplique, l’Apollon Pythien n’appartient pas à la plus belle époque de l’art grec. L’élégance et l’harmonie des lignes sont sans doute d’une immense importance dans la sculpture, mais il faut qu’elles se concilient avec l’expression de la vie. Or, si l’Apollon Pythien est élégant, harmonieux, il n’est pas vivant dans l’acception poétique du mot. La tête séduit par sa noblesse, mais le torse et les membres