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trouver tout naturel que les gens du monde imputent à la Grèce les péchés dont l’Italie impériale est seule coupable. Quand les hommes du métier ne possèdent que des notions incomplètes sur ce point, il n’est pas étonnant que ceux dont l’unique préoccupation est de hâter la fuite des heures commettent à ce propos les plus étranges bévues.

En attendant que l’histoire spéciale prenne place dans l’enseignement public des arts du dessin, il est bon d’appeler l’attention des lecteurs sur les œuvres qui ont longtemps passé pour excellentes, qui ont été invoquées comme des argumens décisifs en toute occasion, et sur celles qui, malgré leur mérite avéré, n’ont pas encore conquis l’importance et l’autorité qu’elles devraient avoir. Le nombre de ces œuvres est assez limité, et d’ailleurs, fussent-elles nombreuses, il ne s’agirait pas de les passer toutes en revue, mais de choisir celles qui ont une signification bien déterminée, qui offrent un sens et révèlent une doctrine précise. Je connais des voyageurs doués d’une excellente mémoire, capables, ou peu s’en faut, de réciter le catalogue des principales galeries de l’Europe, et cependant incapables de se prononcer sur la valeur d’une école. C’est que pour se former un jugement à cet égard la première condition n’est pas de voir beaucoup, mais de bien voir. Une douzaine de statues ou de tableaux étudiés avec une attention persévérante portent plus de profit qu’une promenade dans tous les musées de l’Italie et de l’Allemagne. Pour que l’étude soit féconde, il faut absolument qu’elle se concentre sur un petit nombre d’objets. Il en est de même de la discussion. Circonscrite dans un champ dont les limites sont prévues et marquées d’avance, elle peut rendre quelques services. Si la route qu’elle doit parcourir embrasse un vaste espace, si les points qu’elle doit toucher ne sont point reliés entre eux par la nature même des idées qu’ils représentent, elle s’égare, ou tout au moins ne laisse dans la mémoire qu’une trace passagère.

C’est pourquoi je ne prendrai en Italie, en France et en Angleterre qu’un très petit nombre de statues, et je crois qu’elles me suffiront pour combattre et pour réfuter l’opinion accréditée parmi les gens du monde, et malheureusement aussi dans plus d’un atelier, touchant les doctrines esthétiques de la Grèce et le caractère des œuvres qu’elle nous a laissées. Les idées que je veux essayer de substituer aux idées qui sont la monnaie courante de la conversation ne sont pas nouvelles dans le sens absolu du mot, et je ne les donne pas comme miennes, mais comme vraies. Les conclusions auxquelles je suis arrivé par la comparaison, par la réflexion, n’ont rien d’inattendu, rien d’imprévu pour ceux qui ont soumis à la même épreuve les idées qu’ils avaient acceptées autrefois sans vouloir ou sans pouvoir