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qu’il montra en tout temps pour l’histoire et la politique.

Il quitta Oxford pour s’établir à Laleham, où, s’étant marié, il prit des élèves en pension, début très ordinaire aux membres distingués de l’église anglicane. Son goût ou plutôt sa passion pour l’enseignement, sa conviction que le métier de former la jeunesse était un des emplois les plus difficiles en même temps qu’un des plus utiles et des plus relevés de la vie, je pourrais dire le plus relevé et le plus utile, l’attachèrent exclusivement à cette profession qu’il mettait au rang d’une magistrature et d’un sacerdoce. Dans le cercle étroit d’un établissement privé et presque domestique, il forma et éprouva ses principes, il acquit une expérience et déploya des talens qu’il devait un jour porter sur un plus grand théâtre, et qui vers la fin de sa vie parurent aux yeux de plus d’un bon juge le qualifier pour toutes les parties du gouvernement des hommes. C’est à Laleham qu’il lut, par le conseil de M. Julius Hare, cet archidiacre Hare que l’Angleterre vient de perdre, le premier livre allemand qu’il ait étudié, et ce livre était l’Histoire romaine de Niebuhr. Aucune lecture, après celle de l’Évangile, ne fit sur lui une telle impression. De très bonne heure, il avait compris ce que l’histoire pouvait devoir à la géographie, à l’ethnographie, à la linguistique. Il était, par la nature de son esprit, de l’école historique plutôt que de l’école philosophique, et la critique allemande fut pour lui comme une illumination. Elle n’affaiblit pourtant point sa foi religieuse, non plus que son goût pour la réalité et l’action. Il se sépara des Allemands en n’étant ni indifférent ni spéculatif ; mais son esprit devint à leur école plus libre et plus flexible, et c’est avec la reconnaissance et la vénération d’un disciple qu’il a parlé toute sa vie de Niebuhr. Il ne le vit qu’une fois, et cet unique entretien répondit à l’attente de son admiration. Aussi re-porta-t-il une partie de ses sentimens pour le maître sur son digne ami et son plus fidèle continuateur, M. Bunsen. La correspondance d’Arnold avec ce savant et ce diplomate distingué respire une amitié pleine de confiance et de déférence, et c’est la qu’il parle le plus librement cette langue de la haute érudition et de la haute critique qu’il accusait ses compatriotes de ne point comprendre.

Telle fut bientôt sa réputation, qu’en 1827 le poste de maître en chef (head master) du collège de Rugby étant venu à vaquer, on lui conseilla de se mettre sur les rangs. Il se présenta en effet, et quoique arrivé des derniers parmi les candidats, il fut élu par les patrons, c’est-à-dire par un comité de notables du comté de Warwick. Le docteur Hawkins, maintenant prévôt d’Oriel, prédit que cette élection changerait la face de toutes les écoles publiques de l’Angleterre. Rugby était, comme Eton, Harrow, Winchester, un des rares collèges qui tiennent la place de nos lycées, et où l’on se prépare pour les universités, c’est-à-dire pour l’enseignement des facultés ; mais Rugby